Orphée enfant, 1 : Fausto Romitelli

(Observateur, sur le web notamment, de la musique d’aujourd’hui, j’ai pensé utile d’ouvrir une nouvelle rubrique à celle-ci exclusivement consacrée, au jour le jour, un peu en désordre comme il se doit pour cette création jaillissante. Il s’agira de brèves chroniques d’humeur et de parti pris uniquement orientées par ce que mon oreille tolère ou non, même si je tiens compte des maîtres, des partitions, du travail accompli, dans la mesure de mes compétences, elles aussi limitées. Je veux parler bien sûr de ce qu’on appelle « musique savante », toutes les autres n’ayant aucun besoin de mon humeur pour rencontrer le succès ou l’échec. Comme tout critique, je revendique hautement le droit de proférer l’injuste et même l’arbitraire. Que cela soit bien entendu.)

Cette rubrique sera inaugurée par un compositeur trop tôt disparu, comme en son temps Bruno Maderna. Fausto ROMITELLI (1963-2004) appartient à la génération suivante, il aurait pu avoir Maderna pour maître, ce fut Donatoni. Cependant la liberté prise par rapport au sérialisme apparaît aussitôt, par exemple dans une musique comme Professor Bad Trip (1998-2000), clairement métisse au sens du compositeur, c’est à dire contaminée par des musiques populaires mais pas n’importe lesquelles : ici le rock psychédélique dans la lignée assumée de Jimi Hendrix. J’ai déjà dit mon admiration pour ce dernier, un héros pour nous autres djeuns des fameuses Sixties, son engagement contre la guerre du Vietnam, son massacre à haut risque du Stars Spangled Banner, dévoration à belles dents de ses guitares quand ce n’était pas destruction, incendie d’icelles en concert…Alors quand Romitelli reprend et amplifie (violoncelle électrifié par exemple) une rhétorique de glissandi brutaux, de pédale wah-wah, de sons « sales » à force de saturation, on applaudirait des deux mains si tout cela ne sentait pas un peu le procédé. Surtout que ça paraît plaqué sur une trame orchestrale pas très éloignée du Boulez des années 60.

J’aime bien mieux en revanche, et immédiatement, la grande tapisserie orchestrale de Flowing down too slow (2001). Sans pause ni respiration une trame longuement se déroule comme un récit, ou comme ces rouleaux de peinture chinoise dont on ne voit pas la fin, où le paysage semble toujours le même alors que sans cesse il change, avec d’infinies nuances de gris, un raffinement dans les dilutions, les points et les traits du pinceau, barques, feuillages, à l’infini. Sur une basse obstinée mais toujours changeante de bois et cordes graves se déploie un lacis de glissandi ascendants et descendants, souvent les deux ensemble, de violons principalement (il faudrait voir la partition), avec des cloches lointaines, des souffles de cymbales percés d’éclats de piano ou de glockenspiel comme autant de petits diamants sur ce lavis d’aube universelle. Puis le vide s’insinue, cela revit, se réorganise magnifiquement dans des échos de tons mineurs, avant de se diluer pour de bon dans un pppp suraigu. On se souvient alors d’un vers de Yang Wan Li, Un oiseau blanc disparaît dans le vide…Et le silence même murmure encore…

Alain PRAUD

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