Les lecteurs assidus de ce blog (qui aura bientôt cinq ans) se souviennent de deux articles : » Art et provocation » (24/04/2011), et « Promenades dans l’art (post) moderne » (16/05/2011). J’y évoquais par exemple, et sans appuyer, ces artistes des années 60 qui osaient exposer leur urine en flacons millésimés et leur « merda d’artista » en conserve. La génération suivante a fait mieux encore et nous en voyons les effets spectaculaires avec Paul Mc Carthy, né en 1945 et connu de tout ce qui grouille et grenouille autour du marché de l’art (l’art, autant le savoir, n’est qu’un marché parmi d’autres : céréales, métaux, armes lourdes et légères, gravats industriels, ordures ménagères, etc.)
Selon Guy Debord et ses disciples, dans la société du spectacle rien ne vaut s’il n’est vu. On le savait depuis longtemps pour la peinture. Désormais c’est pour la monstration de l’art. Monstration : action de montrer, de façon organisée, ostentatoire, si possible dispendieuse (car ce sont toujours les regardeurs qui payent). Plus c’est cher, plus ceux qui payent ont intérêt à organiser la monstration de ce potlatch qui les hausse du col par rapport à leurs obligés – qui peut s’offrir un clébard de Koons à 37 millions de dollars ?
A quel point d’illettrisme artistique, et de concomittant snobisme, n’a-t-il pas fallu descendre pour autoriser l’érection place Vendôme du soi-disant « Tree » du soi-disant artiste Mc Carthy ? Maintenant que ça a été dégonflé en douceur on entend gronder la bobosphère ulcérée, que la France d’Hollande c’est ni plus ni moins l’Allemagne nazie, sa proscription de l’art « dégénéré »… Ce serait seulement bouffon comme d’habitude si ce n’était pas en plus obscène ; et je le dis tout net, je préfère à ces flatulences la pétomanie du bon peuple. Le chinois classique dit fàn pi, je te renvoie ton pet puisque tu pètes par la bouche en parlant. Grande économie de la langue. La bourde est burlesque, elle n’en est pas moins irréparable. Que des activistes d’on ne sait où se soient engouffrés dans cette plaie ouverte ne change rien à la chose, sauf qu’ils ont l’onction de la grande majorité, ce qui ne fait aujourd’hui l’affaire de personne. Alors forcément tout le personnel politique serre les fesses (vous me direz…) et botte en touche le plus loin qu’il peut. Dommage, car c’est trop tard : à force de reniements successifs toutes les gesticulations officielles se voient comme elles sont : des pantomimes irresponsables puisque incultes. Je suis persuadé, hélas, que la maire de Paris ne sait de l’art contemporain que les bristols que lui glissent ses conseillers ad hoc, et si je n’en dis pas autant de la ministre de la culture c’est pour des raisons, disons, qui me regardent.
Une des choses qui caractérisent l’art contemporain, c’est le one-shot : ce qui est fait une fois devient inimitable. Ainsi le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, ou les 4’33 » de silence de John Cage. Quand ensuite on reproduit ça, même quand on le décline, révérence parler avec Brassens on a l’air d’un con. Mais le marché de l’art est devenu tellement absurde qu’il a créé des cons en or massif, Koons, Murakami, Mc Carthy, plein d’autres, et comment se regarder comme un con dans un miroir en or massif, vous sauriez le faire, vous ? Alors ce sont des artistes, le marché l’a dit, ils le croient. Le type de l’arbre de Noël s’est fait gifler, vous allez voir qu’il se prend pour Jésus.
On parle de vandalisme à propos d’un bout de plastique qu’on dégonfle…Mais savez-vous que selon le regretté Daniel Arasse il y eut bien pis, sur la personne même de Mona Lisa, l’intouchable…Oui, vous trouviez normal qu’elle arbore des sourcils soigneusement épilés, or en 1503 cette mode appartenait aux putains, alors que Mona Lisa était plus que respectable, récemment mère de surcroît, bref quelqu’un a dû l’épiler dans les années 1550 pour sacrifier à la mode d’alors qui copiait les courtisanes d’antan…Jésus Marie, une vache n’y retrouverait pas son veau comme on dit chez moi. Si bien que quand Marcel Duchamp fait d’elle une copie moustachue il ne fait que lui restituer… Oui mais il l’intitule LHOOQ, look du voyeurisme on veut bien mais qu’il faut aussi épeler, alors on en revient au point de départ et au mystère de cette bourgeoise pâlissante derrière sa vitre blindée, et si fragile sur ses deux planches mal jointes de peuplier dont on contrôle en permanence la teneur en eau. Faudrait pas qu’elle ait chaud, ça non.
Il conviendrait donc de créer un nouvel ordre artistique (puisque art il y a) : l’art stercoraire, de stercus, excrément, comme Proust parlait de musique stercoraire (la muzak universelle d’aujourd’hui). Le McC en question a d’ailleurs conçu un étron gigantesque et de couleur adéquate, largement exposé et censé symboliser quoi ? j’ai oublié, cet art conceptuel est si mal placé que le temps que ça remonte à mon cerveau, pardon…Toute cette malencontreuse affaire me rappelle un sketch des années 60, « Le sar Rabindrana Duval »:
(…) Francis Blanche : « Qu’entendez-vous par là ? »
Pierre Dac : « Par là j’entends pas grand chose… »
Et comme lui je m’en tiendrai pour le moment, sur une affaire aussi sensible, à cette saine ignorance.
Alain PRAUD
P.S : Je vais bientôt parler des Ex-Votos de Michel BEZ. C’est un art qui provoque…mais de belle manière !
P.S.2 (30/11/2014) :
Et voici que Télérama me donne raison et plus encore, par la voix d’Olivier Cena, qui sans avoir l’air d’y toucher (la fameuse Telerama Touch) réduit en poussière la Koonserie de Beaubourg. Quel grand sculpteur ! on le savait déjà, tout le mérite de quelques matières-miroir revient aux entreprises qui mettent ça en forme. Quel grand homme ! Un thuriféraire béat (on dit « décomplexé », le moderne vernis des ânes) de l’American way of life, consommation à outrance d’objets inutiles, leur image du bonheur (et la sienne) ; bref, un prolongateur de Disney, après tout pourquoi pas ? Sauf que les effets induits sont tout autres, et Olivier Cena crache le morceau, déjà bien connu pourtant, mais des seuls connaisseurs : ce qu’on appelle de nos jours « marché de l’art » est une gigantesque machine à laver l’argent sale. Qui achète les koonseries et autres fadaises prétentieuses ? Quelques spéculateurs genre Pinault ou Arnaud en effet, mais surtout beaucoup d’anonymes et pour cause : oligarques chinois et russes, satrapes golfiques et voisins, sud-américains sous pseudo, Etatsuniens aussi forcément. Parmi eux une infime minorité se soucie de l’art et de son devenir. En revanche tous ou presque ont de l’argent à laver : argent de l’évasion fiscale très souvent, argent beaucoup plus fétide également : rackett, trafic de drogues, de main-d’oeuvre clandestine, d’armes, prostitution à grande échelle y compris d’enfants, travail imposé aux enfants, esclavage moderne sous toutes ses formes, braconnage de ressources naturelles comme l’ivoire et la corne de rhinocéros…N’ouvrez pas de restaurant ni d’hôtels de luxe, vous vous épuiserez pour un rapport médiocre. Trafiquez, et avec les profits de vos trafics, achetez ce que vos courtiers appellent de l’art (vous vous en tamponnez le coquillard). Et le tour est joué, surtout que presque partout l’achat d’art est défiscalisé. Non seulement vous recyclez la coke, mais vous ne payez plus d’impôts : qui résisterait à une telle campagne marketing ?
Comme ils ont oublié d’être idiots, Koons et ses compères savent tout cela depuis longtemps. Ils préfèrent ne voir, ils se déplacent pour venir la contempler, que l’admiration béate des snobs, des gogos, des complices. C’est tellement plus gratifiant !
Plutôt drôle!
Tu dois te souvenir de ce que rappelait Nietzsche: quand des gens âgés crachent sur le présent tout en pleurnichant sur la disparition du bel « avant » (oh, la peinture, la musique, le cinéma, l’Art d’Avant!!!), inutile d’y prendre garde: c’est la fatigue qui parle.
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Frank Gehry il y a quelques jours : « 98% de ce qui s’est construit récemment est de la pure merde. » C’est vrai qu’il a 85 ans. Mais il sait un petit peu de quoi il parle. Quand McCarthy (plus âgé que moi) n’a jamais été le début des prolégomènes d’un artiste. « Les artistes sont les seuls à croire au monde » (Hannah Arendt) – lui s’est exclu de cette communauté. Ce pourquoi il est adulé des snobs, avec intérêts.
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98 pour cent ? Certainement. Et Alors, en a-t-il jamais été autrement ?
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Nous sommes bien d’accord, comme toujours en fait : Mc Carthy et tant d’autres enfouis dans cet enfer de Dante dont ils n’auraient même pas rêvé…tant ils sont nuls et à 100% oubliables…
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