Par exemple je n’aime rien tant que la musique sacrée, la belle, la très belle. Celle que je chante (Vivaldi, Mendelssohn, Rossini, Mozart, Brahms, Bruckner), celle que je rêve de chanter (Berlioz, Brahms encore, Verdi, Duruflé, Poulenc, Ligeti). Dès qu’il s’agit de Dieu le champ (le chant) est immense, et rien que pour les XVII-XVIIIème siècles des milliers de partitions, souvent admirables, dorment dans des bibliothèques, des couvents. Surtout en Italie. Il y a de quoi chanter du nouveau pour des siècles. Mais pourquoi diable chanter Dieu ? Son fils, le Saint-Esprit, e tutti quanti ?
Prenons un peu de recul. La première grande controverse entre marxistes, marxistes-léninistes (trotskystes) et marxistes-léninistes- stalinistes – maoïstes, n’a pas eu lieu dans les années 1970 de notre ère païenne. Mais lors du premier concile de Nicée (mai-juillet 325) sous le règne de Constantin, fondateur officiel du Christianisme d’Etat. Il s’agissait de fixer la question, en effet fondamentale, de la consubstantialité du Père et du Fils. Tandis que les Ariens (par exemple les puissants royaumes wisigoths d’Espagne, de Toulouse, du Languedoc) soutenaient que le Fils est de substance « semblable » (en grec : omoiouisios) à celle du Père, les tenants de l’orthodoxie impériale (seuls « catholiques », donc) soutenaient que le Fils est de « la même substance » que le Père (en grec toujours : omoousios). Comme on le voit il n’y a qu’un iota (i) de différence entre les deux thèses. Comme les Nicéens ont triomphé (de façon sûrement contestable : il n’y avait que 318 évêques présents, et on imagine les difficultés de circulation et de communication dans l’Empire tardif), nous est restée l’expression « ne pas varier d’un iota » que plus personne ne comprend, justement parce que plus personne ne participe à ce débat absurde.
J’ai l’air de me gausser, mais qu’en est-il de nos débats actuels sur le mariage pour tous ou la PMA, et avant cela sur l’avortement et même la contraception ? Heureusement que l’histoire des peuples est toujours la plus forte, car nous serions enlisés comme le Paris-Dakar dans une histoire de iotas et qui l’accepterait ? Heureusement que Paul VI en 1967 a levé l’excommunication de Luther, après que Jean XXIII et Vatican II eurent cessé de déclarer les Réformés hérétiques, tout vient à point pour qui sait attendre. Il faudra attendre Jean-Paul II pour une vraie réconciliation avec l’Eglise orthodoxe, fâchée elle sur la question des images principalement, depuis le schisme du XIème siècle. On a tout son temps, n’est-ce pas.
J’en viens à l’essentiel. Comme dit l’autre je suis athée grâce à Dieu, et comme ce serait confortable s’il en allait ainsi. Cette proposition est dérisoire parce qu’elle est intenable, puisque l’athéisme postule la même certitude que celle des croyants (du moins tant que ceux-ci n’affirment pas que la Terre est plate, que les dinosaures sont une invention du Diable, et que jamais au grand jamais nous n’avons eu pour ancêtre une espèce de singe, ça va pas la tête ?). Ce que nous savons c’est que nous ne savons rien, Pascal l’avait déjà dit, « Un peu de science éloigne de Dieu. Beaucoup en rapproche », proposition sur un bout de papier qui ne cesse de nous interroger, puisque ceux qui se tiennent au courant savent que plus nos instruments sont performants plus ils nous posent de nouveaux problèmes théoriques. Par exemple nous sommes obligés (déjà c’est incroyable, obligés) désormais de postuler pour expliquer la masse de l’univers dont nous ne savons rien mais qui cloche, une « énergie noire » dont nous ne savons rien non plus et qui pèserait 80% de la masse globale de l’Univers… Il faut avouer que devant cela Dieu tient encore la route, du moins quelque chose dont je m’expliquerai plus loin.
Mais à l’origine de cet article je voulais m’indigner contre les persécutions dont sont victimes les athées et dont personne ne parle. Déjà il faut savoir que si vous prétendez voyager dans des pays musulmans (il paraît que ça existe, cette formulation est en elle-même scandaleuse) (imaginez un instant qu’on parle de pays chrétiens ? Eh bien dans les « pays musulmans » on en parle). Mais il y a bien plus : déjà pour entrer en Egypte il fallait se dire d’une religion du Livre, bientôt les choses seront encore plus claires : religieux sinon rien. L’athéisme ne sera pas une option, et mieux, un stigmate. Cela sous la pression, que chacun connaît, des Frères Musulmans dans ce pays (rappelons que le violeur présumé Tariq Ramadan est le petit-fils du fondateur de cette secte). Il y a déjà 13 pays qui ont inscrit la peine de mort sous peine d’athéisme, pays tous musulmans il va sans dire.
Il va sans dire, et pourquoi ? Comme avant 1789 en France, pays pionnier sur ce chapitre, il faudrait que l’Europe au moins sépare enfin les églises de l’Etat, du bien commun. On en est loin. Il faudrait que toutes les religions déclarent solennellement que l’athéisme n’est pas diabolique, qu’il est une option de pensée comme une autre et aussi respectable (comme ailleurs le taoïsme et le confucianisme, le bouddhisme ramayana ou hinayana). Mais dans la France de 2017 on ne peut pas supposer un instant que comme dans l’Amérique trumpiste ou la Russie poutienne, il soit impossible, dangereux, diabolique, d’être athée et surtout de se déclarer tel.
C’est sur ce point que je voulais insister car il concerne la communauté humaine et non seulement moi son misérable exemplaire. Il y a plusieurs définitions de l’athéisme, certaines très militantes auxquelles je n’adhère pas. Pour moi l’athéisme est d’abord la possibilité d’une option : vous dites que ce monde est sans dieu, vous n’irez pas en prison pour autant. Pas comme au Pakistan, en Arabie saoudite, que sais-je, bientôt l’Egypte apparemment. On les comprend ces dictatures : il faut maintenir le peuple prosterné, et quoi de mieux que des religions qui prosternent les croyants ?
Mais selon moi l’athéisme est libérateur, en cela d’abord qu’on peut revenir en arrière sans être déclaré apostat et que soit lancée contre vous une fatwa de mort. Au vrai je ne sais pas si je suis vraiment athée, ou opposé aux structures verticales de l’Eglise catholique, ou si je doute fondamentalement devant la question du juge Porphyre à Raskolnikov : « Croyez-vous à la résurrections de Lazare ? – Oui, dit l’étudiant assassin. – Y croyez-vous littéralement ? » Littéralement c’est la question qui tue. Bien ou mal écrits les textes ont fait jusqu’ici le malheur de mes semblables. Bien sûr que la résurrection de Lazare a un sens puissant comme symbole (et symbole incroyable, scandaleux, au Premier siècle, et principalement justifié de la résurrection future de Jésus lui-même) ; en même temps scientifiquement elle est absurde (surtout que « il sentait déjà » : l’Evangile lui-même dit le doute que la foi doit combattre jusqu’à l’impossible). Plus va, et plus jamais je ne méprise comme athée les arguments religieux car ils ont un sens de ciment et d’union.
Les archéologues modernes ont retrouvé le tombeau de Lazare, du moins son archétype, dans les sous-sols de Jérusalem, là où on inhumait effectivement les vrais gens. Il y avait d’abord un tombeau provisoire creusé dans le tuf et commun à tous les morts, on y laissait le défunt deux jours puis on le transférait à sa sépulture définitive. Ce qui explique que Lazare soit encore là et non pas enterré, et l’injonction « Lazare, sors ! – Et le mort sortit », car il fallait en effet qu’il sortît de ce logement dans le tuf qui n’était pas sa dernière demeure fût-il cousin du Christ. Il a eu du pot mais il a bien fini par mourir quand même sûrement le pauvre diable. Ainsi soit-il.
Alain PRAUD