Inactuelles, 77 : Silence, on noie

Je devrais me taire sans doute, et ma paresse naturelle y incline. Continuer à m’émerveiller de la nature, des papillons, des oiseaux, des enfants, de la musique surtout sans quoi je ne peux vivre. Et puis nous sommes en vacances, enfin nous les nantis qui gémissent toute l’année sous le joug d’un dur labeur, quand 90 pour cent de la planète ignorent jusqu’au sens de ce mot, vacances. Qu’importe après tout : revendiquant des vacances pour leurs enfants, certains ont cru qu’il suffirait d’incendier un restaurant de luxe, l’esprit humain a de ces détours. Même d’autres plus exaltés échafaudaient des guillotines pour qui, en tout cas pour qui leur hérissait le poil. Des voisins ont dû trembler, même certains beaux-frères.

Mais la récré est terminée et les vacances sont pourries, car la vraie saloperie, celle qu’on fourre sous le tapis depuis des lustres, oui la vraie saloperie continue. Sous la pression de leurs opinions publiques (oui, elles ont leurs raisons, merci, je sais) les gouvernements unanimes se sont encore concertés pour mettre la poussière sous le tapis – sauf que cette fois ce n’est plus possible. Je ne suis pas spécialiste de ces questions migratoires, des spécialistes il y en a partout, grassement payés, qui ne font rien. Comme mon maître Montaigne je ne suis qu’un humble humaniste qui observe et s’interroge. Et même si je reste à l’ombre toute l’année j’éprouve oui quelque compassion pour les baigneurs innocents dont le séjour est à jamais terni par des cadavres échoués, dauphins non vous n’y êtes pas, mais oui humains. Naturellement la première réaction de ces braves gens est de demander un transfert hôtelier voire une indemnisation, après tout leurs enfants avaient été soumis à des scènes choquantes d’autres enfants, certes noirs mais quand même noyés à leurs pieds.

Normalement et vu mon âge, mon expérience, l’âge de ce blog surtout bientôt dix ans je devrais m’en tenir là, mais non. Comme on dit en gascon francisé, figure-toi que si la colère m’atrappe…Je suis hanté par ces enfants noyés avec leurs mères enceintes, et les ados, les quasi invalides. Qui de bonne foi peut croire que ces gens veulent nous envahir et profiter de notre système de redistribution que le monde entier (à l’exception des gilets jaunes) nous envie ? Ils ne veulent que survivre ailleurs, plus au nord, à des conditions de vie détestables voire impossibles, atroces même pour le Soudan, l’Erythrée cet anus mundi dont personne jamais ne parle parce qu’on se fout de la géographie quand on hurle à la dictature le ventre plein. Même ces considérations m’indiffèrent désormais.

Car il serait trop facile d’incriminer tel ou tel gouvernement, telle changeante majorité législative, la question n’est plus là, il s’agit de savoir si nous voulons demeurer un donjon aigri rabougri ou si nous acceptons un peu d’ouverture à ces immenses potentialités qui frappent à la poterne. Pour l’instant nous n’en sommes même pas là. On ramasse par centaines des corps humains sur nos plages, et cela décourage tout commentaire.

Alain PRAUD

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Inactuelles , 76 : Cette fois, le feu ?

Je n’ai pas fait la recension de toutes ces nuits où je vous ai entretenus de mes pensées (labiles, changeantes, incertaines) sur le climat et la catastrophe planétaire qu’on entrevoit enfin, qui s’annonce, qui vient. Moi non plus je ne la voyais pas avec cette netteté. Je fus longtemps sceptique bien sûr comme presque tout le monde, simplement parce qu’imaginer un monde pareil était hors de notre portée, nous autres babyboomers, classe d’âge pléthorique on le sait et alors ? Au travail nous fabriquions le monde actuel et sans nous poser de questions, normal quand on travaille. Nous les intellos de Normale par exemple posions des questions pénibles, comme un soir à Nanterre à un prof du XVIe arrondissement de qui nous sanctionnions vertement son éloignement du sens de l’histoire … « Et si on s’en fout du sens de l’histoire ? » éructa-t-il à bout de nerfs, approuvé par une majorité silencieuse de travailleurs et mères célibataires qui n’avaient que cet horaire tardif et nous haïssaient cordialement. Ce dont nous n’avions que faire, au contraire. Car la Révolution n’est pas un dîner de gala, non plus pour les prolos égarés, aliénés, voire collabos du grand capital. Telle était l’ambiance aux lendemains de 68.

Dans l’urgence idéologique et insurrectionnelle des gens carnavalesques ont voulu prétendre que tout était de nouveau sur la table, ce que personne ne croit en réalité. Comme toujours la Révolution n’est nullement pilotée par « le peuple » mais par des minorités agissantes souvent très qualifiées en droit et sciences politiques, qui lui imposent leur agenda. Il s’agit aujourd’hui d’une certaine droite extrême (il y en a tant) et d’une certaine extrême-gauche (même remarque) dont personne ne veut dans quelque gouvernement que ce soit mais qui se croient dans le vent révolutionnaire.

Il semble que je m’éloigne de mon propos mais non j’y viens, je suis au plus près. Car l’horizon eschatologique de ces mouvements (d’humeur) c’est disent-ils la planète, leurs enfants et petits-enfants, les nôtres, etc. Or ils viennent de faire la démonstration qu’on pouvait en quelques semaines polluer la France autant qu’en toute une année ordinaire (davantage à la Réunion), ce dont se tamponnent clairement tous les politiciens qui n’ont jamais rien su faire d’autre, ici tous partis confondus. Des gens qui devraient être en prison, qui y étaient encore il y a peu se sont affichés en jaune, appelant à la révolution juste avant qu’un site américain ne dévoile leur patrimoine en dollars, des millions, de 3 à gauche à plus de 15 pour la droite qui tient la région. Tout va bien, n’est-ce pas

Je voulais parler de la planète et nous n’en avons qu’une, elle commence ici, minuscule, dans l’Océan Indien. Chacun espère éviter le cyclone qui vient et que d’autres (souvent Madagascar) vont prendre de plein fouet. Comme ils n’ont presque rien en dur ils vont tout perdre c’est sûr eh bien ils n’avaient qu’à bétonner comme nous. Et ils le font. Parce qu’ils n’ont aucune conscience de ce qui nous attend ? Non, parce qu’une telle conscience va contre leur intérêt immédiat, ce qui est décisif. Ici en France sous la Vème République l’Etat a manqué imploser sous le prétexte d’une taxe de 6 centimes sur le gazole. Qu’en retiendra le monde ? Que le monde peut attendre, et que le gazole après tout ce n’est pas si grave.

A Paris nous avons remplacé Nicolas Hulot et son panache à la Don Quichotte par un petit marquis poudré bien décidé à ne rien faire d’important puisqu’il a compris qu’en haut lieu personne ne le soutiendrait. Il a bien raison, comme Hulot. Les chasseurs plombent la nature et tuent des promeneurs, les lobbies agro-alimentaires s’invitent à la table des ministres depuis trois ou quatre Présidents, la déforestation en Guyane (plus vaste forêt française et largement inexplorée) semble ne déranger personne, alors on continue, pourquoi se contraindre ? Le nouveau jeune Président ne connaît rien aux campagnes dit-on, et alors les précédents non plus, Chirac même habitait Bity le château de sa femme qu’il faisait réparer aux frais du contribuable, et n’en sortait que pour aller toucher le cul des vaches devant des hordes de respectueux qui ne lui posaient aucune question gênante que d’ailleurs il méprisait.

Quand au bout de l’an on fait un voeu alors on s’arrange pour qu’il soit crédible et pas désolant. Même cela savez-vous j’en suis incapable car il me faudrait un socle humaniste, et ce socle s’effrite de toutes parts. S’il vous plaît lisez et relisez Montaigne, Diderot, Stendhal qui les connaissait par coeur, et revivez de ce bain magique comme je m’y essaie, je sais que ce n’est pas éternel mais quoi. Il m’arrive d’ouvrir une partition de Brahms, 10 minutes de la Symphonie n°3 que tout le monde connaît et c’est un bonheur. Mais qui écoute encore cette musique si simple ?

Je parcours des voeux qui se veulent fraternels et je n’entends plus que ressentiment, aigreur stomacale, haine viscérale, affects qui n’ont jamais accompagné mon enfance, alors que certains exaltés semblent au bord de se brûler vifs de déses poir (et j’ai envie de leur dire à certains, mais faites-le donc, voyons) . Alors je me souviens que mes parents et mes grands-parents tenaient des cahiers au franc près, même à l’ancien franc, autant dire roupie de sansonnet. Toutes les familles ont ces témoignages archivés. Par un tour de passe-passe qu’il faudra m’expliquer, sur seule décision du préfet de la Réunion le litre de gazole tombe de 15 cents. Que demande le peuple ? Qui va payer ? Ben quoi on s’en tamponne, des députés milliardaires en réclament plus pour le peuple et moins pour la collectivité, on ne comprend pas tout mais tout va bien.

Je conclurai plus tard ou jamais, d’ores et déjà ce climat me paraît délétère et même méphitique par instants, voire stercoraire. Un mélange instable entre piliers de comptoirs je les connais bien, intellos fanatiques je les connais encore mieux, et ces gens qui grenouillent sous l’influence d’éternels notables locaux, régionaux, dont les nouveaux des pouvoirs nouveaux sont souvent enfançons c’est aisé à vérifier. Alors la boucle est bouclée et la cocotte-minute se regonfle.

Au fait je voulais parler environnement. Ce sera pour une autre fois. Quand tout le monde sera vraiment terrifié. J’ai hâte. Bonne année à tous, comme dit à tous vraiment Keith Richards que j’aime comme le Dalai Lama. Amen.

Alain PRAUD

Nous, deux ourses, et l’esprit du monde (Inactuelles 75)

J’ai épousé les Pyrénées en 1974 et pour 32 ans. Je n’étais pas absolument étranger : ma grand-mère, Yvonne Couteille, était née près de Marmande, d’un père mystérieux et beau parleur aux filles, né près de Lourdes et qui parlait catalan, dit-on. Mais c’est vraiment en 1974 que j’ai découvert les Pyrénées à Luchon, et quel plus beau belvédère ? Et tout de suite je me suis intéressé à l’ours, allez savoir pourquoi puisqu’il n’y en avait plus depuis longtemps. Mais la vie, une nouvelle compagne, m’a agrégé à un clan, larboustois de toujours sans doute, vassal d’Aragon, soumis à personne. Mon fils est de cette race, comme on disait aux âges classiques.

Et j’ai raconté il y a longtemps comment je suis entré dans l’intimité du chaman chippewa, le chef du clan, arrière-grand-père de mon fils qui ne l’a presque pas connu, il n’importe. Le chaman s’appelait Barthélémy Oustalet, et cet homme est sans doute le plus fort témoignage qu’il m’ait été donné de ce que devrait être l’humanité si vraiment elle voulait perdurer. Je l’ai dépeint dans les profondeurs de mon blog, « Le dernier ours », allez-y voir ça se mérite (octobre 2010). D’un regard il savait qui était homme ou bête, et dans cette bête ou homme qui était digne. De quoi ? Digne. A la suite de quoi il ne faisait aucune différence entre bête et homme. De sorte que j’ai vite compris avec lui que l’ours ou l’homme c’était pareil.

A son époque (il était né en 1914) il y avait environ 300 ours dans les Pyrénées, j’entends des indigènes ,Ursus arctos pyrenaicus, cette espèce éteinte à jamais parce qu’un chasseur trouillard a pris Cannelle, l’ultime femelle, sans doute pour un Grizzly ou un Kodiak. Or je le redirai cette espèce craint l’homme et à juste raison, ce pourquoi on ne la voit jamais. Pardon, je parle au présent alors qu’elle est anéantie. Mais c’est exprès. Dès mon arrivée ou presque, dès que j’ai connu Barthélémy je me suis passionné pour l’ours et en bon universitaire (j’étais normalien après tout) je me suis lancé avec sa collaboration dans une enquête qui se voulait sérieuse. J’en ai appris certes sur l’ours mais bien plus comme on l’imagine sur celles et ceux qui prétendaient l’avoir vu…

Car l’indigène était tellement craintif que rares pouvaient assurer l’avoir vu. A commencer par moi qui ai arpenté forêts et monts en solitaire souvent, sans en avoir aperçu la queue d’un comme on dit, mais lui sans doute m’observait ou plutôt me reniflait car il est assez myope. Un de mes élèves, Sénégalais, plus tard brillant avocat quoique bègue, me certifiait l’avoir vu dans des circonstances abracadabrantesques. Barthélémy lui l’avait vu et tué, même si c’était par méprise lors d’une battue au sanglier. L’ours surpris s’était mis debout bien plus impressionnant, devant un fusil il n’avait aucune chance. Mais ce n’est pas forcément la bonne version. Car dès qu’il s’agit de l’ours tout le monde a tendance à délirer : ceux qui l’ont vu ou entrevu, plus encore ceux qui ne l’ont vu que par ouï-dire. Je dis ceux, car sur ce sujet les femmes sont interdites au sens exact : on les empêche (ou elles s’empêchent) de parler. Je constate. L’ours est une question virile, sans doute depuis Lascaux et Altamira. Barthélémy lui-même n’en parlait qu’avec ce léger tremblement du larynx qui signale le respect quasi religieux. La seule fois de sa vie où il avait tué un ours il l’avait appelé Moussu, Monsieur. Il était aux palombes avec ses copains, et c’est l’ours, surpris (le vent ne lui était pas favorable sûrement) qui se pointant dans leur dos bien sûr s’était érigé menaçant, terrifié. Avant de le fusiller avec des petits plombs qui de si près faisaient balle, il avait eu le temps de lui dire, terrifié lui aussi : Que fais-tu là, monsieur ? En gascon de montagne bien sûr, le seul idiome que l’ours pouvait comprendre. Et même ce n’est pas cette fois-là qu’il l’avait appelé Moussu, mais une nuit à l’estive, pour le faire fuir.

A cette époque, les années 1930-1960, il y avait encore sans doute quelques centaines d’individus de cette espèce omnivore, et en réalité végétarienne à 90% comme partout au monde (l’ours polaire, exclusivement carnivore et pour cause, s’éteint sous nos yeux). Au début des années 80 j’ai enquêté auprès d’anciens bergers et vachers, gascons, aranais, aragonais, censés avoir vu la bête. Je rapportais leurs propos à mon chaman qui faisait le tri (celui-là c’est un menteur de première, etc). A ces époques les ours étaient nombreux mais les bergers et vachers plus encore, qui gardaient les estives avec leurs chiens border-colleys et surtout les placides patous capables d’affronter l’ours qui le savait. Il pouvait y avoir des failles dans ce système de défense mais elles restaient rares. Personne n’était indemnisé. De nos jours c’est tout l’inverse : il n’y a presque plus d’ours et slovènes donc rares sont les éleveurs qui se protègent, bergers et patous se font rares, les animaux tués sont indemnisés par l’UE sans vérifier si les tueurs sont ours ou chiens errants, d’ailleurs comment savoir ?

Au vrai si l’ours fut un personnage de légendes populaires innombrables (Jean de l’Ours, etc), son successeur slovène, lui, est un objet de fantasmes (intéressés, on s’en doute) qui ne reculent ni devant la désinformation (ne laissez plus sortir vos enfants ! régression Chaperon rouge), ni devant l’intox pure et simple. C’est ainsi qu’on a vu circuler sur les réseaux dernièrement une invraisemblable vidéo d’abord prise pour argent comptant par FR3 ce qui est un comble (c’est notre argent), où l’on voyait un ours noir attaquer un veau dans une forêt à l’évidence nordique et pour cause : le document était russe ! Ce qui en passant dit autre chose : que le lobby des éleveurs anti-ours/écolo/Hulot/Macron/Europe (mais largement subventionné par ladite Europe) n’hésite pas à manger au râtelier de Poutine, ce grand démocrate qui ne rêve que de la mort de l’Europe son ennemi principal, et qui a la haute main sur tout produit communicant qui sort de Russie, il faut être nourrisson ou le Ravi de la Crèche pour en douter désormais. Ainsi des battues « d’effarouchement », parfaitement illégales, ont été organisées en vallées d’Aspe et d’Ossau pour rejeter ces deux pauvres femelles en Espagne (il avait d’abord fallu les déposer en hélico car les routes étaient barrées, illégalement bien entendu).

Sans polémiquer au plan local qui m’importe peu, cette agressivité irrationnelle laisse mal augurer des temps mauvais qui nous attendent avec l’inéluctable changement ou plutôt bouleversement climatique qui nous pend au nez non pas demain mais dans cinq minutes. Les intérêts particuliers vont se déchaîner dans un embrouillamini de micro guerres civiles et étrangères, où il faudra ramener à la raison non des bêtes (déjà plus raisonnables que nous) mais des hommes perdant le sens. Comme beaucoup le prédisent il y faudra des Etats très autoritaires et ne reculant pas devant l’usage de la force dans l’intérêt général. Rappelons déjà aux excités que la destruction d’espèces protégées en bande organisée est passible de 750 000 euros d’amende et 7 ans de prison. Mais quand il faudra restreindre collectivement notre confort pour préserver les grands équilibres biologiques dont nous sommes partie prenante, il est à craindre que le bon sens, la chose du monde la mieux partagée selon Descartes, ne fasse à beaucoup défaut. C’est alors seulement qu’on verra si l’esprit du monde souffle assez puissamment pour faire obstacle aux eaux glacées du calcul égoïste.

Alain PRAUD

Voir aussi :
Nicolas, écolo et martyr (septembre)
Le Dernier Ours (octobre 2010)

Inactuelles 74 : Nicolas, écolo et martyr

C’était à la radio mais tout le monde a bien vu (car la radio est filmée) sa gorge nouée, ses larmes ravalées. Le ministre le plus populaire de ce gouvernement, justement parce qu’il avait toujours jusque là décliné l’offre, démissionnait en direct. Ce garçon m’a toujours été sympathique et je ne crois pas l’avoir jamais critiqué même à raison. Mais je dois à la vérité de dire que je ne l’ai jamais vu dans la peau d’un ministre.

Ce mot signifie serviteur, et servir quoi, justement il y entrait pour servir une tout autre cause que le macronisme, bien plus haute, bien plus exigeante. Reconnaissons au Président qu’au moins il lui a donné l’envergure, les moyens, l’image. Mais comme Maïakovski et Lili Brik s’échouant sur le récif de la vie quotidienne, Nicolas main dans la main avec Emmanuel s’est fracassé sur une falaise d’obsidienne. Qui s’attendait à quoi, on ne sait car tous deux étaient débutants en l’affaire. Mais c’était écrit, plus ou moins. Car grande est la volonté, immense est le réel. Et disons-le sans plus tarder, le réel n’est pas écolo, mais alors pas du tout.

Quand je dis le réel, je ne parle pas ici du monde concret, palpable, scientifiquement accessible et évalué en temps réel. Non, je parle de cette superstructure monstrueuse d’excroissances incontrôlées qu’on appelle « les médias » et qui incluent surtout désormais les omniprésents réseaux sociaux. Or c’est de plus en plus un système totalitaire imbu de sa propre puissance et face auquel plus aucun homme politique ne fait le poids, surtout s’il n’est adossé à une puissante structure. Alors vous introduisez deux ourses slovènes dans les Pyrénées et un million d’éleveurs de brebis sont vent debout, cependant qu’au moins autant de militants vous traitent de génocidaire parce que vous avez autorisé l’abattage de 9 loups. Heureusement il n’a pas eu le temps de vraiment prendre parti dans la crise requin qui divise mon île comme on sait. Là aussi il se serait fait écharper.

Alors quand il a voulu entrer dans le dur, par exemple EDF et ses centrales, il a vu l’épaisseur du blockhaus. Car du plus loin qu’il m’en souvienne, en France EDF c’est l’Etat. Moins 25% de nucléaire en 2025 non mais sans blague ? A ce train pas même en 2075 où moi et Hulot serons retournés dans les étoiles comme on dit aux enfants. Car personne ne sait (même pas EDF) combien ça coûte de sortir du nucléaire à horizon historique. C’est probablement hors des possibilités d’un Etat, surtout démocratique. Hulot pouvait-il le clamer urbi et orbi ? Non.

Car rappelons-le, un ministre d’Etat n’est pas un sous-fifre, il dispose de centaines de collaborateurs h24 et le petit doigt sur la couture. Donc il sait tout et tout le temps, le plastique dans les poissons, l’activité volcanique sous les Pyrénées, la fonte des glaciers himalayens, combien de salopards chasseurs de baleines japonais vers les Kerguelen, cette connerie de Montagne d’or en Guyane que Macron en plus avait validée, les arboricoles de Notre-Dame des Landes, etc. Quelquefois il peut agir tout de suite, la plupart du temps non, voire dans des siècles. Vous prenez ce job, vous ? Même à 50 000 euros par mois ? Moi non.

On a dit que les chasseurs avaient fait déborder le vase, et il est vrai que le minus qui leur sert de lobbyiste (et qui aurait l’oreille de Macron) plastronne sur tous les médias. Si la 5ème puissance mondiale est prise en otage par quatre pimpins qui se font des plans « sans les hyènes » dans leurs cabanes camouflées sur le chemin des palombes (pas connes désormais elles passent ailleurs), qu’on les laisse s’arsouiller tranquilles. Hulot s’est retrouvé, avec tout son staff de luxe, dans une immense solitude shakespearienne, celle du roi Lear ou de Richard III. A la fin il criait « My kingdom for a horse ! » et nul sinon l’écho ne lui répondait. On a vu en direct Richard criblé de flèches. Sans doute pour la dernière fois.

Alain PRAUD

Le football, opium du peuple ?

 » La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur. Elle est l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. »

Il fallait citer complètement ces phrases de Karl Marx, ce grand écrivain aussi et poète méconnu. Toute l’ambiguïté porte sur le mot « opium », drogue de nos jours, au XIXème siècle remède universel, analgésique notamment. Que dit Marx en vérité ? Que la religion, comme médicament (le grec « pharmakon » dit à la fois remède et poison) allège les souffrances du peuple (non encore constitué en prolétariat), que certes elle l’empêche de se révolter, ce qu’il faudra faire en s’attaquant d’abord à elle. Mais en attendant, s’il ne l’avait pas, il serait dans un désespoir absolu. Sans horizon, sans solution à hauteur humaine.

Dans certains milieux inspirés, informés, instruits, progressistes, il est de bon ton et depuis longtemps de dénigrer le football, sport trop populaire pour être honnête, nouvel opium du peuple en quelque façon. C’était, je m’en souviens bien, la position des groupes trotskystes des années 70, et par voie de conséquence du quotidien Libération jusque dans les années 90. Les grand-messes sportives, Jeux Olympiques compris, ne suscitaient que sarcasmes dans une certaine intelligentsia bien pensante, qui avait oublié que Camus était joueur de foot enthousiaste, en attendant Cohn-Bendit, Finkielkraut et bien d’autres. Et au moins deux présidents de la République, Hollande et Macron, seuls à avoir joué dans des équipes constituées.

Les premiers grands matches que j’ai vus ce fut quand mon père se décida enfin à acheter un poste de télévision, en 1966, pile au moment d’une coupe du monde à laquelle il n’entendait goutte mais qui l’enthousiasma (notez bien cela). Avec lui j’ai donc regardé s’affronter de grandes équipes en noir et blanc mais exclusivement blanches, Allemagne-URSS, Angleterre-Allemagne je crois, en tout cas l’Angleterre souleva la coupe et plus jamais depuis. Mon père était enthousiaste sans rien y comprendre, les enjeux étaient de guerre froide. Et peu me chalait, alors je me suis désintéressé de la chose des décennies durant. A Luchon lors de matches importants les amis convergeaient, on ouvrait les bières mais les connaisseurs coupaient le son, peu enclins à subir Thierry Roland et autres bavards. A cette occasion j’ai appris à me taire devant un match, ce que je recommande en toute occasion. Surtout après ce que nous venons de vivre. Mais que très bien vite je vais modérer.

Car ce qui vient de se passer sous nos yeux étonnés n’a plus rien à voir avec le football sinon cela se saurait, je veux dire 30 millions de Français et même sans doute davantage tétanisés devant une finale, massés dans des « fan zones » jusqu’à 90 000 comme devant la tour Eiffel, avec des milliers de gendarmes surarmés qui par devoir tournaient le dos à l’écran géant, on s’habitue hélas mais nous ne sommes plus que des nourrissons surprotégés, même que certains s’en plaignent. A mon humble avis et après le Bataclan ils devraient faire preuve d’un peu d’humilité. Ils ont aussi protesté parce que le bus à impériale supportant les joueurs avait descendu les Champs en à peine un quart d’heure. Mais personne ne s’est demandé ce que cette performance avec moteur électrique a pu coûter de policiers sur tous les balcons, de snipers sur les toits. L’âge de l’innocence est derrière nous s’il fut jamais.

En vérité je voulais célébrer comme un nouveau Pindare les deux étoiles de la France à vingt ans d’intervalle et surtout que ces étoiles ne sont pas du tout de même magnitude. Celle de 1998 a été construite quasiment en secret par un gourou Aimé Jacquet, et en 90 mn elle a humilié 3-0 le pays de Pelé. Puis nous nous sommes endormis sur de trop grands lauriers, jusqu’à l’auto-humiliation de 2010 et à la lente remontée avec Didier Deschamps, seule personne dont en toute rigueur on devrait citer le nom tant ce type est immense. Je ne vais pas dire en plus malhabile ce que tous les spécialistes savent déjà, mais pas tout le monde forcément : DD a reconstruit une équipe qui était à terre, il en a exclu des vedettes inutiles voire gênantes, il est allé chercher des inconnus qui ne le sont plus du tout, et ayant retenu la leçon de Napoléon il a changé la stratégie avant chaque match décisif, de sorte que les grandes nations du foot soient un peu perdues. Un vrai spécialiste retiendrait bien d’autres victoires techniques des uns et des autres, merci à tous bien sûr.

Mais je voulais parler de l’opium du peuple. D’abord ceux qui instrumentalisent ce discours et son auteur je ne peux les condamner absolument, j’étais des leurs dans les années 70 et tout le monde trouvait ça de bonne guerre puisque l’objectif était la Révolution. Mais nous sommes entrés dans une nouvelle ère, où les joueurs connaissent la Marseillaise et même l’improvisent sur le perron de l’Elysée, où même les plus petits savent tout de Mbappé leur idole sans se poser une seconde la question de ses origines et pour cause puisqu’il est français. Dès qu’on remarque une couleur de peau on est raciste comme sur les réseaux sociaux russes, polonais, croates, et allemands hélas. Comment une équipe africaine (ou de singes, chose plus atroce encore) a-t-elle pu effacer en 90 mn 90 années de collaboration, de guerres coloniales, de compromissions de la France avec des régimes inqualifiables ?

Eh bien elle l’a fait, et il faudrait le génie de Pindare (il ne chantait tout de même que l’aristocratie qui envoyait ses jeunes, et n’oubliait pas de les sponsoriser) pour chanter cette épopée venue de loin, voulue et entretenue par un stratège de génie. Mais qu’on ne se fasse aucune illusion, la France chante et crie jusqu’à l’ivresse, sans doute pour effacer le Bataclan et les autres attentats ou menaces, cependant pourtant comme « opium du peuple ». On sait à quel point l’opinion est versatile, elle le restera demain avec cette restructuration. Laissez-moi étudier Pindare ces vacances. Ensuite nous referons-nous quelque chose de tout cela. Ou non, du reste.

Alain PRAUD

Inactuelles, 73 : Bachar, et après ?

Bachar a gagné sa guerre contre son peuple. Il avait de qui tenir puisque son père l’avait déjà fait à moindre échelle. Cette fois il s’agit de 350 000 à 500 000 morts selon les sources, et de millions de déplacés, expulsés, réfugiés, exilés, comme on voudra. La différence avec son père c’est qu’il n’a pu gagner cette guerre contre son peuple qu’avec l’appui d’armées extérieures, celles de l’Iran et surtout de la Russie qui a engagé en Syrie à peu près tout de ce dont elle dispose sur le plan stratégique. Poutine a donc joué très gros, et il a provisoirement gagné. On parle souvent de lui comme d’un joueur d’échecs ; au vrai c’est un joueur de poker mafieux. Le principe du poker mafieux c’est que tu n’as pas la main mais que si tu es en position de tuer l’adversaire tu as gagné au moins provisoirement. Le poker mafieux vit dans le provisoire, c’est toujours ça de gagné, on verra après, le président US aura changé tandis que chez nous non.

La force provisoire de Bachar (ce monde est tellement provisoire) c’est que Poutine son marionnettiste semble définitif (son marionnettiste c’est la pensée de Poutine, pas la mienne, on s’en doute). Tellement définitif que depuis 2011 on l’a laissé massacrer consciencieusement la moindre fraction de son peuple opposée à sa dictature tribale, et à renvoyer aux parents les cadavres émasculés de leurs enfants ados. Car oui comme dit Céline ça a commencé comme ça.

Passons sur d’autres massacres dont j’ai rendu compte abondamment sur ce blog depuis 2013 et allez-y voir. Nous n’en sommes plus là, mais plus du tout. Un compartiment a été ouvert dans ce sinistre calendrier de l’Avent, et c’est celui des armes chimiques. De bons esprits rappellent avec un propos qui force l’admiration qu’on a fait la guerre à Saddam sur de mêmes suspicions. Au vrai il disposait de ces armes puisqu’il a gazé les Kurdes de Halabja, des milliers de morts et le Guernica du moyen-orient. La propriété géniale du gaz sarin, que nos aïeux de 1914 n’ont pas connue et tant pis pour eux, c’est qu’il est rapide. Pour simplifier il inhibe instantanément l’acétylcholinestérase, une enzyme qui dégrade l’acétylcholine qui nous permet de respirer mais (comme c’est bête, voyez) doit être dégradée à mesure sinon elle nous étouffe. Alors les victimes de ce gaz qui ne nécessite que quelques milligrammes par cm2 de peau meurent asphyxiées par leurs glaires en quelques minutes. Telles sont les images d’enfants étouffés que le ministre Lavrov exécutant de Poutine et donc assassin des enfants syriens à qualifiées froidement de mise en scène. Lavrov qu’Olivier Todd qualifie de quasi génie.

Naturellement de tels massacres, impossibles selon les lois internationales depuis un siècle, n’ont pas pu être commis sans la protection de la Russie, vassal intéressé du régime Assad qui lui permet d’avoir deux bases en Méditerranée, le rêve de tous les tsars. Donc Poutine a autorisé personnellement cet étouffement de femmes et d’enfants (les combattants étaient loin) avec la certitude que ces couilles molles d’Occidentaux (c’est son vocabulaire et le fond de sa pensée) ne bougeraient pas d’un millimètre. Rappelons que les russo-serbes avaient agi de même à Sarajevo, massacrant les populations des marchés jusqu’à ce qu’enfin un tir précis les ramène à la raison, du moins au calme sans alcool. Et il n’y eut plus de tir sur Sarajevo, puisqu’il n’y avait plus de canons ni de servants.

Je reste naïf et le serai toujours. Après de telles abominations sur les enfants syriens je m’attendais à ce que la réaction martiale du surplanté orange et de ses alliés de l’Otan moins la Turquie (elle a autre chose à faire et à emmerder des alliés) fût au bas mot l’anéantissement du palais présidentiel du barbare dolichocéphale. Que nenni, illuminations ludiques dans le ciel damascène et ce fut tout. On ne sait pas le coût des missiles US, mais des nôtres oui, il y en eut 12 à 10 000 euros pièce. Au maximum dans une guerre majeure, de ces engins merveilleux nous ne disposerions que d’une centaine. On espère que ce sera une guerre contre le Pakistan. Ou la Nouvelle- Zélande.

Toujours est-il que Bachar parade puisqu’on ne l’a pas dézingué personnellement et qu’il en était prévenu et préservé. Ce type a un humour très particulier auquel on n’a pas encore eu le temps de s’habituer, faudra sans doute attendre qu’il ait massacré ce qui lui reste de peuple « utile » comme il dit. Ensuite il sera désopilant avec son cou de girafe cynique. Mais il devrait se garder d’oublier que désormais et partout au monde il est un criminel pour lequel un tribunal va être constitué, et que plus aucun chef d’état n’est à l’abri des lois universelles.

Sur le satrape russe j’ai déjà usé assez d’encre. Lui aussi paiera, pour les massacres en Tchéchénie, pour la guerre illégale en Géorgie, pour la Crimée, l’Ukraine, pour Alep et la Ghouta, ça commence à faire lourd et ce n’est rien encore. Le peuple russe l’approuve comme le peuple italien approuvait Mussolini, remerciez-moi de ne pas abuser. En pareil cas les choses se retournent au premier clin d’oeil comme disait Rimbaud. Désormais le satrape est plus fragile que jamais, certes on l’a courtoisement prévenu qu’on allait tirer, mais cette prévenance est déjà humiliante et il l’a reçue comme telle, on a quand même vexé sous ses yeux son meilleur allié. Pourtant il ne peut rien faire le pauvre, rien de plus qu’enkyster ce gros kyste qu’est le Conseil de Sécurité de l’ONU.

Alors que pouvait décider l’ONU ? On s’en tamponne, comme tout le monde. Un signal vient d’être envoyé sur l’emploi d’armes interdites depuis la première guerre mondiale, où tant des copains de mon grand-père ont été gazés. Le seul fait que Saddam, rappelons-le contre les Kurdes, et maintenant Bachar contre ses propres enfants, puissent trouver des excuses et des alliés dans les principaux partis politiques français de gauche et d’extrême-gauche, sans parler des droites plus ou moins extrêmes, est déjà une flétrissure pour notre pays.

Et après ? Eh bien on verra bientôt. Car sur ce point (infime à l’échelle planétaire) les choses avancent très vite.

Alain PRAUD

Inactuelles 71 : Le XXIe siècle est mal parti ( 1 – Poutine)

Je voulais commenter la défaite toute provisoire des Kurdes d’Afrine, mais ce sera pour un autre article, sur Erdogan. Je rappelle tout de même que depuis des années je suis du côté kurde, même et surtout parce qu’ils dérangent tout le monde depuis un siècle de leur unique revendication : on ne pourrait pas avoir un Etat souverain, vous les puissances qui découpez le monde selon vos intérêts de circonstance ? Et qui connaissez vos erreurs en la matière ?

C’est le dernier des soucis du Satrape Poutine triomphalement réélu (qui en doutait ?) à la magistrature suprême après avoir fait invalider son principal adversaire pour corruption (rires), et assassiné ou discrédité les autres. Car les élections libres sont pour lui un odieux stigmate de la démocratie à l’occidentale (rires russes). Le personnage m’a toujours paru répugnant, et en phase avec son CV d’espion (son rêve d’ado), de faux derche, de bureaucrate en RDA, enfin toute la séquelle dont il se vante aujourd’hui. Et c’est vrai qu’il a une gueule de reptile, de varan de Komodo, une gueule qui te dit : n’enquête pas sur moi car tu pourrais bien crever d’une balle dans ton hall d’immeuble, voire d’un isotope bizarre dans ton thé, si ce n’est d’un agent chimique sur un banc public. Morts de rire, on est. Car c’est comme le globicéphale coréen : Poutine n’a pas rien fait comme on dit ici, même les doigts dans le polonium. Dont acte.

A l’origine du poutinisme (au fait on devrait écrire Putin, comme on écrit Vadim Repin pour le génial violoniste, alors pourquoi cette différence de traitement ?) il y a une immense humiliation, la chute brutale du monstre soviétique et son dépeçage immédiat. Car le flic authentique, à l’état natif, prend pour une humiliation personnelle l’échec structurel de ses chefs vénérés. Ainsi Mengele au Brésil, Eichmann à Jerusalem, tant d’autres. De ceux qui ont torturé en Algérie et en toute bonne conscience il ne reste que peu de débris planqués derrière leur démence sénile. Le flic Putin du KGB devenu FSB dans les mêmes locaux ne digère pas l’effondrement de l’URSS, ça lui reste en travers, il pourrait en crever mais au contraire il retourne cette frustration contre le grand Ouest qui lui en veut et qui veut asservir la Russie (c’est le seul et unique objectif de l’Ouest, repaire babylonien de pédés et de gouines, obsession quotidienne de Putin). L’Otan veut asservir la grande Russie en sapant ses valeurs morales et d’abord sexuelles, c’est à dire en lui inoculant l’homosexualité, inexistante avant (comme en Chine, j’aurai l’occasion d’y revenir). Car un Russe devenu homo par la corruption occidentale est bien évidemment incapable de défendre la sainte Russie.

Oui, car j’oubliais : même s’il est athée comme un chien, Putin se signe doublement à toute occasion dès qu’un pope traîne par là. C’est même un des grands shows comiques de notre présent. Mais rien d’étonnant chez cet adorateur de Staline, expert en goupillons (ancien séminariste) tout en rasant les églises. Or cette fois les églises et monastères on les reconstruit à l’identique avec l’argent du pétrole parce que c’est rentable et combien. Mais le modèle, toujours, c’est Staline. Et là-dessus Putin ne risque rien face à son opposition, le candidat communiste se proclamant adorateur de Staline. Enfin tout le monde est d’accord sur l’essentiel, c’est beau la démocratie. Mais son problème n’est pas là.

Son problème c’est toutes ces guerres perdues par la Russie, depuis la Crimée au XIXe et l’humiliation face au Japon en 1905 jusqu’à la super humiliation de 1941 à peine compensée par Koursk et Stalingrad. La grande frustration du flic Putin est militaire, et c’est là qu’il devient dangereux pour la paix mondiale. Car dans sa vision binaire de l’histoire il n’y a que des vainqueurs et des vaincus. Or dans cette perspective paranoïaque l’effondrement de l’URSS est la première défaite militaire moderne de la Russie, qu’il s’agit de laver. Comment ? par une autre guerre. Contre tout le monde : USA, Europe, Japon, le monde entier. On exhibe des armes cette fois absolues (on a vu avec le sous-marin Koursk) comme la Corée du nord, noli me tangere ! qui laissent de marbre les spécialistes, mais là n’est pas la question puisqu’on asphyxie les médias aux ordres et la nouvelle classe moyenne à genoux. L’immense Russie profonde est tellement terrifiée par un éventuel déficit d’autorité du Tsar / des Bolcheviks / de Staline / de ses successeurs, qu’elle est à genoux dès que les boyards élèvent la voix (on notera que de l’hymne national soviétique seules les paroles ont vaguement changé – ce qui compte c’est la musique, elle inchangée, reprise par tous comme une Marseillaise, alors qu’elle est exactement le contraire).

Oui Putine aime la guerre, il la recherche, et qu’on le comprenne bien : depuis l’Afghanistan d’où il a fallu repartir la queue basse, les guerres de l’armée rouge du XXIe siècle c’est contre les civils, d’abord à Grozny puisque le monde détournait les yeux puis en Géorgie, en Crimée, en Ukraine, avec à la clef un avion de ligne abattu par un missile russe alors qu’il se dirigeait vers un congrès australien sur le sida. Alors en Syrie il a trouvé son théâtre idéal. Sur l’origine de la guerre anti-populaire la plus atroce du siècle pour l’instant je vous renvoie à d’autres profondeurs de ce blog (janvier 2013, février 2014, septembre 2015, etc) – la seule au monde qui devrait nous empêcher de dormir malgré tous les trolls qui bottent en touche vers d’autres atrocités quotidiennes, on ne peut être partout à la fois, certains veulent étouffer certaines horreurs qu’ils couvrent, voilà le problème. La Syrie est la miraculeuse régénérescence de la « démocrature » du tsarévitch anémique et hypersportif. Le corps s’agite encore devant les médias, mais quand on ne produit que des armes et que le cours des matières premières s’effondre, devant le capitalisme financier que reste-t-il de ces rodomontades ?

Alain PRAUD

Inactuelles 71 : La Shoah , encore ?

Oui, encore, car bien des choses restent pendantes.

La shoah je ne sais pas ce que c’est. Personne ne le sait, même les tout derniers témoins qui n’en ont vu qu’une infime partie. Et alors ?

Déjà il n’y a plus aucun témoin de la guerre monstrueuse de 1914-1918. Est-ce que pour autant elle n’a jamais été ?
C’est la même chose pour la shoah. Et cependant il reste beaucoup de témoins, âgés ou non. Il en reste.

Mes fidèles lecteurs savent que depuis quelques années je me suis déclaré juif. N’importe qui peut le faire, puisque ce n’est ni une ethnie, ni une religion, ni une culture. Seuls les nazis et leurs complices français ont fait croire que c’était de la génétique, à quoi ils n’entendaient rien. Je suis juif parce que que j’en ai décidé ainsi, et voilà.

Il se trouve que ces temps-ci on reparle de la shoah sur les chaînes nationales. Heureusement, car c’est en effet leur mission pédagogique. D’ailleurs j’aimerais que ces canaux évoquent plus souvent la guerre d’Algérie, et non pas d’un côté mais de tous, colons, engagés, musulmans, fellaghas, OAS. Et bien sûr l’armée qui n’a pas le droit de parler : professionnels et soldats malgré eux. J’aimerais qu’on parle de tout et je suis frustré mais ça vient, petit à petit mais ça vient.

Je n’ai entendu parler de la shoah que dans les années 80 de l’autre siècle, surtout après le film éponyme de Claude Lanzmann. Cet homme a sûrement des tas de défauts dont on parle mais je m’en tamponne car son film a changé ma vie. Après ces 9 heures (vues au moins cinq fois) aucun regard ne peut plus honnêtement être le même qu’avant. Et il y a eu d’autres films, et j’ai avalé tout ce qui était écrit ou presque sur la question. Comme il reste des centaines d’heures de rushes on peut croire qu’il y en a pour un siècle au moins et c’est très bien. Lanzmann a failli être tué par d’anciens SS qu’il avait tenté de piéger ; mais grâce à la vérité il en a piégé d’autres comme le SS Suchomel gardien à Treblinka, camp préliminaire d’Auschwitz et peut-être plus atroce dans son artisanat. L’obscénité tranquille de cet immonde est pour toujours un exemple anthropologique, disponible pour tous les étudiants qui s’intéressent à la question et ils sont nombreux.

Ressasser c’est pas bien… Mais d’abord j’ai été trompé, et comment, officiellement, pédagociellement, par la diffusion systématique dans les lycées et surtout EN d’instituteurs, pensez, du terrible Nuit et brouillard de Resnais et Jean Cayrol. Or ce film ne cite jamais ses sources et c’est terrible. On y voit des bulldozers américains charrier des milliers de cadavres décharnés et les jeter dans des fosses communes. Mais c’est à Bergen-Belsen, ces pauvres gens sont morts du typhus pour l’essentiel, selon mon souvenir le mot « juif » n’est prononcé qu’une fois. Malgré l’immense poème d’Evtuchenko « Babi Yar » et son illustration définitive dans la symphonie n° 13 éponyme de Chostakovitch (selon moi une des plus fortes et grandes oeuvres du XXème siècle, avec le Sacre du Printemps, et ce que vous voudrez), cela ne se sait toujours pas : pendant des jours, de simples soldats (on ne sait combien) allemands mais aussi baltes, polonais, ukrainiens, ont fusillé dans la nuque au bord de ce ravin hommes femmes et enfants juifs, avec un tel zèle qu’ils se plaignaient auprès de leurs familles de patauger dans le sang et la cervelle et que ça devenait fatigant.

Alors il ne faudrait plus parler de ça, vraiment ? Les recherches avancent dans le monde entier, il y a des millions d’archives non défrichées, ce siècle le XXIème dont hélas je ne verrai pas la fin nous en apprendra de belles. A la Réunion en seconde abibac j’ai eu le privilège d’enseigner le français à des jeunes filles allemandes qui déjà le parlaient aussi bien que les françaises, et ce bain linguistique m’a apaisé. Elles étaient si universelles ! Même leurs grands-parents étaient nés après la guerre, et cependant elles aussi étaient incapables d’imaginer qu’on puisse franchir en voiture un feu rouge. Ce qui est la base même de toutes les formes d’autorité. Rot ist rot.

Qu’est-ce que donc que je veux dire ? Que les Allemands sont tous coupables ? Pas plus que les Russes ne le sont du stalinisme, ni les jeunes Français mes enfants de la torture en Algérie. Simplement il y a des choses dont on parle et d’autres dont on s’abstient de parler. Comprenons-nous bien : ce n’est pas parce que dans les repas dominicaux des années 60 on ne parlait jamais de la shoah qu’elle avait soudain cessé d’exister pour ceux qui savaient, seulement ce n’était pas encore temps, le temps n’était pas venu. Maintenant on entend dire que c’est trop, qu’on exagère. Quand viendra la juste mesure ? Il faudra bien la trouver. Il y avait à Auschwitz un block des enfants où même ils avaient des peluches, etc. mais où Mengele et ses médecins diaboliques venaient puiser pour leurs expériences insensées.

En quelques semaines de 1944, 437 000 juifs de Hongrie ont été entassés dans des wagons à bestiaux sans air ni lumière ni latrines vers Auschwitz-Birkenau. Leur extermination était tellement urgente qu’on avait construit en hâte une nouvelle rampe ferroviaire, d’où on les déchargeait mourants à grands coups de nerfs de boeufs et de morsures de chiens, sous les ordres hurlants d’autres pyjamas rayés promis au même sort. Je sais qu’un tel enfer est inimaginable, je voudrais bien avoir le Dante pour le chanter, mais je crains que toute voix humaine y soit impuissante. En une seule journée 24 000 de ces malheureux sont partis en fumée, record absolu, car ensuite les fours pourtant réfractaires ont éclaté, il a fallu brûler les gens en plein air dans un désordre indescriptible, tellement anti-allemand…

On a honte pour toute l’humanité bien sûr, pas seulement pour l’Allemagne ces jolies jeunes filles Madleen Adele mes élèves qui n’y pensaient même plus, si gentilles souriantes obéissantes toujours à l’heure et plus savantes en vocabulaire français que leurs camarades françaises…Leurs aïeux comme mon grand-père, elles en parleront comme de dinosaures. C’est triste pour mon pépé décoré et tout mais je les comprends, la vie a toujours raison, elle finit toujours par avoir raison.

Alain PRAUD

Mono no aware, 47 : Athéisme, mode d’emploi

Par exemple je n’aime rien tant que la musique sacrée, la belle, la très belle. Celle que je chante (Vivaldi, Mendelssohn, Rossini, Mozart, Brahms, Bruckner), celle que je rêve de chanter (Berlioz, Brahms encore, Verdi, Duruflé, Poulenc, Ligeti). Dès qu’il s’agit de Dieu le champ (le chant) est immense, et rien que pour les XVII-XVIIIème siècles des milliers de partitions, souvent admirables, dorment dans des bibliothèques, des couvents. Surtout en Italie. Il y a de quoi chanter du nouveau pour des siècles. Mais pourquoi diable chanter Dieu ? Son fils, le Saint-Esprit, e tutti quanti ?

Prenons un peu de recul. La première grande controverse entre marxistes, marxistes-léninistes (trotskystes) et marxistes-léninistes- stalinistes – maoïstes, n’a pas eu lieu dans les années 1970 de notre ère païenne. Mais lors du premier concile de Nicée (mai-juillet 325) sous le règne de Constantin, fondateur officiel du Christianisme d’Etat. Il s’agissait de fixer la question, en effet fondamentale, de la consubstantialité du Père et du Fils. Tandis que les Ariens (par exemple les puissants royaumes wisigoths d’Espagne, de Toulouse, du Languedoc) soutenaient que le Fils est de substance « semblable » (en grec : omoiouisios) à celle du Père, les tenants de l’orthodoxie impériale (seuls « catholiques », donc) soutenaient que le Fils est de « la même substance » que le Père (en grec toujours : omoousios). Comme on le voit il n’y a qu’un iota (i) de différence entre les deux thèses. Comme les Nicéens ont triomphé (de façon sûrement contestable : il n’y avait que 318 évêques présents, et on imagine les difficultés de circulation et de communication dans l’Empire tardif), nous est restée l’expression « ne pas varier d’un iota » que plus personne ne comprend, justement parce que plus personne ne participe à ce débat absurde.

J’ai l’air de me gausser, mais qu’en est-il de nos débats actuels sur le mariage pour tous ou la PMA, et avant cela sur l’avortement et même la contraception ? Heureusement que l’histoire des peuples est toujours la plus forte, car nous serions enlisés comme le Paris-Dakar dans une histoire de iotas et qui l’accepterait ? Heureusement que Paul VI en 1967 a levé l’excommunication de Luther, après que Jean XXIII et Vatican II eurent cessé de déclarer les Réformés hérétiques, tout vient à point pour qui sait attendre. Il faudra attendre Jean-Paul II pour une vraie réconciliation avec l’Eglise orthodoxe, fâchée elle sur la question des images principalement, depuis le schisme du XIème siècle. On a tout son temps, n’est-ce pas.

J’en viens à l’essentiel. Comme dit l’autre je suis athée grâce à Dieu, et comme ce serait confortable s’il en allait ainsi. Cette proposition est dérisoire parce qu’elle est intenable, puisque l’athéisme postule la même certitude que celle des croyants (du moins tant que ceux-ci n’affirment pas que la Terre est plate, que les dinosaures sont une invention du Diable, et que jamais au grand jamais nous n’avons eu pour ancêtre une espèce de singe, ça va pas la tête ?). Ce que nous savons c’est que nous ne savons rien, Pascal l’avait déjà dit, « Un peu de science éloigne de Dieu. Beaucoup en rapproche », proposition sur un bout de papier qui ne cesse de nous interroger, puisque ceux qui se tiennent au courant savent que plus nos instruments sont performants plus ils nous posent de nouveaux problèmes théoriques. Par exemple nous sommes obligés (déjà c’est incroyable, obligés) désormais de postuler pour expliquer la masse de l’univers dont nous ne savons rien mais qui cloche, une « énergie noire » dont nous ne savons rien non plus et qui pèserait 80% de la masse globale de l’Univers… Il faut avouer que devant cela Dieu tient encore la route, du moins quelque chose dont je m’expliquerai plus loin.

Mais à l’origine de cet article je voulais m’indigner contre les persécutions dont sont victimes les athées et dont personne ne parle. Déjà il faut savoir que si vous prétendez voyager dans des pays musulmans (il paraît que ça existe, cette formulation est en elle-même scandaleuse) (imaginez un instant qu’on parle de pays chrétiens ? Eh bien dans les « pays musulmans » on en parle). Mais il y a bien plus : déjà pour entrer en Egypte il fallait se dire d’une religion du Livre, bientôt les choses seront encore plus claires : religieux sinon rien. L’athéisme ne sera pas une option, et mieux, un stigmate. Cela sous la pression, que chacun connaît, des Frères Musulmans dans ce pays (rappelons que le violeur présumé Tariq Ramadan est le petit-fils du fondateur de cette secte). Il y a déjà 13 pays qui ont inscrit la peine de mort sous peine d’athéisme, pays tous musulmans il va sans dire.

Il va sans dire, et pourquoi ? Comme avant 1789 en France, pays pionnier sur ce chapitre, il faudrait que l’Europe au moins sépare enfin les églises de l’Etat, du bien commun. On en est loin. Il faudrait que toutes les religions déclarent solennellement que l’athéisme n’est pas diabolique, qu’il est une option de pensée comme une autre et aussi respectable (comme ailleurs le taoïsme et le confucianisme, le bouddhisme ramayana ou hinayana). Mais dans la France de 2017 on ne peut pas supposer un instant que comme dans l’Amérique trumpiste ou la Russie poutienne, il soit impossible, dangereux, diabolique, d’être athée et surtout de se déclarer tel.

C’est sur ce point que je voulais insister car il concerne la communauté humaine et non seulement moi son misérable exemplaire. Il y a plusieurs définitions de l’athéisme, certaines très militantes auxquelles je n’adhère pas. Pour moi l’athéisme est d’abord la possibilité d’une option : vous dites que ce monde est sans dieu, vous n’irez pas en prison pour autant. Pas comme au Pakistan, en Arabie saoudite, que sais-je, bientôt l’Egypte apparemment. On les comprend ces dictatures : il faut maintenir le peuple prosterné, et quoi de mieux que des religions qui prosternent les croyants ?

Mais selon moi l’athéisme est libérateur, en cela d’abord qu’on peut revenir en arrière sans être déclaré apostat et que soit lancée contre vous une fatwa de mort. Au vrai je ne sais pas si je suis vraiment athée, ou opposé aux structures verticales de l’Eglise catholique, ou si je doute fondamentalement devant la question du juge Porphyre à Raskolnikov : « Croyez-vous à la résurrections de Lazare ? – Oui, dit l’étudiant assassin. – Y croyez-vous littéralement ? » Littéralement c’est la question qui tue. Bien ou mal écrits les textes ont fait jusqu’ici le malheur de mes semblables. Bien sûr que la résurrection de Lazare a un sens puissant comme symbole (et symbole incroyable, scandaleux, au Premier siècle, et principalement justifié de la résurrection future de Jésus lui-même) ; en même temps scientifiquement elle est absurde (surtout que « il sentait déjà » : l’Evangile lui-même dit le doute que la foi doit combattre jusqu’à l’impossible). Plus va, et plus jamais je ne méprise comme athée les arguments religieux car ils ont un sens de ciment et d’union.

Les archéologues modernes ont retrouvé le tombeau de Lazare, du moins son archétype, dans les sous-sols de Jérusalem, là où on inhumait effectivement les vrais gens. Il y avait d’abord un tombeau provisoire creusé dans le tuf et commun à tous les morts, on y laissait le défunt deux jours puis on le transférait à sa sépulture définitive. Ce qui explique que Lazare soit encore là et non pas enterré, et l’injonction « Lazare, sors ! – Et le mort sortit », car il fallait en effet qu’il sortît de ce logement dans le tuf qui n’était pas sa dernière demeure fût-il cousin du Christ. Il a eu du pot mais il a bien fini par mourir quand même sûrement le pauvre diable. Ainsi soit-il.

Alain PRAUD

Inactuelles, 70 : notre ami Himmler

Quand je regarde la télé c’est plutôt Mezzo que donc j’écoute, ou bien la Cinq. Ensuite, si besoin est, les chaînes du service public puisque je paye pour les voir. Le plus souvent d’un oeil distrait je l’avoue.

Ce soir cependant il y avait sur ARTE un documentaire concernant Himmler, et ces gens m’interpellent, on sait pourquoi, même si l’on ignore que je me suis déclaré juif. Il va donc de soi qu’avant d’être jugé Himmler est à mes yeux une charogne et moins qu’un rat. Qu’on se rassure, cette position n’en sera que confortée après visionnage du documentaire.
Car l’intelligence d’ARTE consiste à minimiser les commentaires, réduits à quelques encarts. Pour le reste on entend en voix off des traductions de la correspondance des époux Himmler, voire avec ajouts de leur fille Gudrun adolescente pendant la prise de pouvoir du nazisme et la guerre.

On l’a déjà dit, la mièvrerie de ces échanges est consternante. Surtout quand on la met en relief avec la barbarie absolue du front de l’est et de l’extermination de 6 millions de populations supposées juives (ce qui n’a aucun sens anthropologique : gens deux fois pour rien). Le pur aryen blond comme un viking, ça ne se voit pas immédiatement car il pourrait un binoclard andalou, de lettre en lettre devient plus furieusement antisémite, sa femme surenchérit, on entend dans l’absolu la folie s’universaliser, les ados exploités comme chair à canon du bunker de Hitler (y compris le fils adoptif de Himmler), enfin la mort ignominieuse de qui à Nuremberg eût été pendu de toutes façons. Toute sa jeunesse il avait pataugé dans la boue du nazisme (dont il faudra bien un jour refermer le caveau sur sa démence), on l’entend crier avant Hitler lui-même son exécration des youpins dès les années 1920. Il paraît qu’à Auschwitz cette petite frappe était incapable de regarder gazer les juifs qu’il y avait conduits. C’est vrai qu’il se considérait comme héritier de Mozart et de Schubert comme tant d’autres nazis. Quand va-t-on une fois pour toutes dénazifier l’Europe ? Surtout l’Europe musicale ? Vous croyez que c’est fait ? Pas du tout. Vous voulez des noms ? Cela peut se faire. Est-ce bien utile à la justice ? Pas sûr. Toute la question est là. Les jeunes Allemands font depuis 50 ans un boulot énorme. Quand de ce côté (de ce côté de l’Histoire) nous avons à peine commencé.

Et à ce propos puisque je repense forcément à la grande philosophe (la seule peut-être) Hannah Arendt, et au concept qui lui est propre et qui lui a tant été reproché de « banalité du mal », concept mal compris sinon dénaturé à dessein, car il ne s’agissait pas de dire que nous sommes tous banalement capables de bien et de mal et donc aussi le sinistre Adolf Eichmann dont elle suivait le procès à Jérusalem (texte essentiel, l’avez-vous lu ?). Non, il s’agissait de bien pire, à savoir des Einsatzgruppen. Qu’est-ce ? Simplement des gens comme vous et moi, volontaires et recrutés sur le front de l’est sous autorité de Himmler pour nettoyer ces pays de la judéité (Judenrein). Oui, des policiers, des petits fonctionnaires, des commerçants, même des enseignants se sont portés volontaires pour nettoyer l’Europe des youtres et autres youpins, cette race de parasites. Ce qui fut fait en Pologne, dans les pays baltes, en Ukraine (Babi Yar!), partout en Russie (Staline finira le travail après la guerre). Nous avons les lettres de ces braves gens qui se plaignent de tendinites à force de tirer, et du désagrément de leurs chaussures souillées de la cervelle des femmes et des enfants. Oui quand j’écris « mon ami Himmler » c’est juste parce que ces gens-là étaient, sont nos amis humains. Et que tout ce cauchemar peut revenir n’importe quand, il ne tient qu’à nous autres.

Alain PRAUD