Mono no aware, 10 : le pape s’est cassé

Par exemple, en voilà bien d’une autre : on se réveille un matin en ayant oublié de lire le journal d’hier, et quoi ? juste un sticker sur le frigo : Je me ripe à Castel G., faites passer, merci pour tout, ciao. Putain, la gifle ! J’ai connu Pie XII, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier (le temps d’ouvrir le frigo pour prendre le lait), Jean-Paul II interminablement, n’en déplaise à ses thuriféraires – aucun n’aurait osé ! Ce Ratzinger, quel rocker ! Quand je pense qu’on l’appelait le panzerkardinal, au motif qu’il était allemand et ne s’était pas dressé bras en croix contre Hitler (à l’instar de millions d’Allemands, sauf ceux qui travaillaient pour Staline), puis parce que soi-disant conservateur par rapport au soi-disant ouvert JP2 (qui a bloqué toutes les révolutions indispensables : célibat des prêtres, ordination des femmes, acceptation de l’homosexualité – y compris féminine, pédale douce sur les miracles, apparitions, béatifications, sanctifications, ce bazar néolithique)…et qui a fini Bienheureux lui-même. A JP2 on peut reconnaître un mérite, celui d’avoir contribué à mettre à bas l’ URSS, monstre historique et idéologique qui a bien failli entraîner le monde dans un tourbillon sans retour (les générations actuelles mesurent mal combien 1991, l’effondrement de l’URSS, est une date majeure de l’histoire moderne – bien davantage que 1789 qui ne signifie rien historiquement, et moins que rien au plan théorique). Oui mais il a raté sa sortie. Lui que le KGB avait tenté d’assassiner, qui était allé dans sa prison pardonner à son agresseur, qui rassemblait sur son seul nom autant de jeunes qu’une rock-star, s’est infligé dans ses dernières années les inutiles souffrances du martyre ; et ce faisant, devant les objectifs voyeurs et prédateurs de cette société du spectacle dont il avait si bien su profiter, il a donné au monde le spectacle d’une interminable déchéance. On finissait par souhaiter sa mort.

Le paradoxe de Ratzinger, c’est que ce théologien à l’immense culture, proche collaborateur de JP2 au point qu’on ne sait trop qui épousait les vues de l’autre, sans doute donc assez conservateur, va désormais passer pour révolutionnaire, du seul fait qu’instruit par l’expérience de son prédécesseur (une force de la nature, ce que lui n’est pas) il aura su à temps jeter le gant et la mitre – coiffure encombrante qu’il avait déjà fait disparaître des armoiries pontificales. Paradoxe encore : cette renonciation sans exemple ou presque a été pensée, annoncée et accomplie avec la simplicité et l’élégance de ces prélats de l’ancien régime dont l’éducation aristocratique était encore polie par l’onction sacerdotale. Etre pape, décidément, ça ne s’improvise pas. Tout le temps qu’on est cardinal-électeur, donc possible élu un jour, il faut se préparer à cette invraisemblable fonction : vicaire du Christ, pontife à vie et « infaillible » (depuis Pie IX), souverain et repère moral pour un milliard de catholiques, et cependant, l’âge aidant, fragile comme une fleur coupée. On n’imaginait pas de retraite pour ces gens-là, Benoit XVI leur en a inventé une, qui fera jurisprudence. Bon courage au suivant, car il y a du pain sur la planche.

Alain PRAUD

3 commentaires sur “Mono no aware, 10 : le pape s’est cassé

  1. Très noble, sage, sereine cette renonciation de Benoît XVI. J’ai encore en mémoire le souvenir terrible de la longue agonie de Jean-Paul II donnée en spectacle urbi et orbi. Insupportable.
    Le conservatisme est consubstanciel à toute religion, et tant mieux. Un môle soustrait aux aléas la conjoncture, sinon rien. Seul aménagement raisonnable à mon avis : l’ordination des femmes.

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  2. alors là… je pose mon plumeau pour applaudir des 2 mains le propos d’Arion
    et ce n’est pas seulement parce que ce jour est la journée internationale de la femme!
    un pape qui prend sa retraite est un symbole fort pour tous les travailleurs qui voient reculer inexorablement la date de la leur
    de plus le prochain prélat saura que dorénavant il devient un vrai « papa mobile »

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