Guilhem IX (d’Aquitaine) : Farau

un vers de dreit nien

Farai un vers de dreit nien

Non er de mi ni d’autra gen

non er d’amor ni de joven

ni de rien au

qu’enaus fo trobatz en durmen

sus un chivau

Ferai poème de pur néant

ne sera moi ni d’autres gens

et ni d’amour ni jeunes gens

ni de rien autre

je l’ai trouvé en sommeillant

car chevauchant

Ne sai en qual guizam fui natz

no soi alegres ni iratz

no soi estrahntz ni soi privatz

ni non puesc au

qu’enaisi fui de nueitz fadatz

sobr’ un pueg au

Ne sais sous quel astre suis né

ne suis joyeux ni irrité

ne suis farouche ou familier

ni autrement

de nuit fus possédé de fée

sur un sommet

Ne sai coram sui endormitz

ni coram veill s’om no m’o ditz

d’un dol corau

e no m’o pretz una fromitz

per Saint Mersau

Ne sais quand je suis endormi

quand veille si l’on ne me dit

à peu que le coeur ne me bris

de dol cordial

il ne me pèse une fourmi

par saint Martial

Malautz soi e cre mi morir

e re no sai mas quan n’aug dir

metge querrai al mieu albir

e nom sai tau

bos metgeser si-m pot guerir

mor non si mau

Malade suis me vois mourir

je ne le sais que par ouï dire

querrai médecin à ma guise

ne sais trop qui

il sera fort s’il me guérit

ou gare à lui

Amig’ ai ieu non sai qui s’es

c’anc no la vi ni si m’aint fes

ni no m’en cau

c’anc non ac norman ni franses

dins mon ostau

J’ai amie ne sais qui elle est

car jamais ne l’ai vue de vrai

ne m’a rien qui me plaise ou pèse

et peu me chaut

ainsi ni normand ni français

en mon château

Auc non la vi et aim la fort

anc no n’aie dreit ni ho-m fes tort

no-m pres un jau

qu’ien sai gensor e belasor

e que mais vau

Sans l’avoir vue je l’aime fort

Elle ne m’a fait ni droit ni tort

quand je ne la vois c’est tout comme

ne la prise pas plus qu’un coq

j’en sais plus noble et plus accorte

et qui mieux vaut

Fait ni lo vers no sai de cui

e tramettrai lo a celui

que lo-m trametra per autrui

lay ves Anjou

que-m tramezes del sieu estui

la contraclau

Ai fait ces vers ne sais de quoi

et les transmettrai à quelqu’un

qui les transmettra à quelque autre

jusqu’en Anjou

qui m’enverra de son fourreau

la contreclef

(traduit de l’occitan par Alain Praud)

Du Fu : Rentrant de nuit

Rentrant au mitan de la nuit je tombe nez à nez avec un tigre, il passe son chemin
Montagne noire à la maison déjà tout dort
Sur le côté je vois la Grande Ourse qui décline vers le fleuve
Je lève la tête, l’étoile du matin préside au vaste ciel

Arrivé devant la cour la flamme de ma chandelle se dédouble
Dans l’entrée de la passe le cri d’un grand singe me fait tressaillir
Vieillard chenu a rajeuni, il danse, il chante,
Puis se repose sur son bâton sans dormir. Et alors, quoi ?

Alain PRAUD
Traduit du chinois de Du Fu entre février 2005 et décembre 2018 (modifications)

E.E. CUMMINGS : Cinq poèmes d’amour

(1) je t’aime (ma chérie toute belle) beaucoup

plus que personne au monde et je
te préfère à toute chose au ciel

– soleil et chant célèbrent ta venue

et même s’il se peut de l’hiver partout
avec tel silence avec telle noirceur
nul ne peut vraiment même deviner

(sinon ma vie) l’époque vraie de l’année –

et si ce qui se proclame un monde avait
l’heur d’entendre tel chant ( ou d’entrevoir
telle lumière, comme en un coeur plus heureux
que les plus heureux ça bondit plus haut que tout vers chaque

rare intimité de toi) chacun pour sûr ( ô ma
chérie toute belle) ne croirait plus qu’en l’amour

(2) quand mon amour vient me voir c’est
juste musique un peu, et un
peu plus de couleur en ogive (disons
orange)
contre silence ou noirceur…

et la venue de mon amour émet
merveilleuse senteur en ma tête,

il faut voir quand je tourne à elle
comme en moi ça palpite à s’éteindre.
Et voici que sa beauté, toute, est l’étau

dont tout à coup me tuent les apaisantes lèvres,

mais de mon cadavre-outil son sourire tout-à
coup exalte lumière et rigueur

– et voici : nous sommes MOI et ELLE…

Ce qu’il joue, l’orgue de barbarie

(3) j’aime mon corps quand il est avec ton
corps. Il est chose tellement nouvelle.
Les muscles mieux, si mieux les nerfs.
J’aime ton corps. J’aime ce qu’il fait,
j’aime ses façons. J’aime sentir la colonne
de ton corps et ses os, le tremblement
de cette ferme douceur que je vais
encore, encore et encore
baiser, j’aime baiser ci et ça de toi,
j’aime, quand je caresse l’éperdu duvet
de ton pelage électrique, et ça qui coule
sur la chair qui s’ouvre… Tes grands yeux panés d’amour,

s’il se peut j’aime la folie
de toi sous moi tellement toute neuve

(4) je transporte ton coeur avec moi (je le porte
dans mon coeur) jamais je ne suis sans lui (partout
où je vais tu vas, très chère ; et tout ce qui est fait
par moi tout seul est ton fait, ma chérie)
je ne crains
nul destin (car tu es mon destin, ma douce) je ne veux
nul univers (car belle tu es mon univers, ma vraie)
et c’est toi tout ce qu’une lune toujours a signifié
et tout ce qu’un soleil à jamais chantera c’est toi

là est le très profond secret que personne ne sait
(là est la racine de la racine le bourgeon du bourgeon
le ciel du ciel d’un arbre nommé la vie ; il croît
plus haut qu’aspiration de l’âme ou recul de l’esprit)
ce prodige maintient les étoiles distantes

je transporte ton coeur (je le porte avec moi)

(5)
là-haut dans le silence le vert
silence une terre blanche en lui

tu (embrasse-moi) iras

dehors dans le matin le jeune
matin un monde chaud en lui

(embrasse-moi) tu iras

droit dans le soleil le beau
soleil un jour assuré en lui

tu iras (embrasse-moi

profond dans ton souvenir et
un souvenir et souvenir

j’) embrasse-moi (irai)

( Traduit de l’anglais par Alain PRAUD )

Li Bai (701 – 762 env.) : Ecoutant un moine du pays de Shu pincer la cithare

Un moine de Shu, serrant contre lui sa précieuse cithare,
Est descendu de l’ouest, du mont Emei.
Pour moi seul il consent à toucher l’instrument ;
J’entends bruire les pins de mille et un ravins.
L’eau qui court purifie le coeur du voyageur ;
L’écho fait résonner le bourdon pris de givre.
On ne sent pas le soir tomber des monts de jade
Ni le ciel bas et lourd de nuages d’automne.

(Traduction : Alain PRAUD)

* Le qin (ch’in) est une cithare à 5 ou 7 cordes dont on joue horizontalement. L’instrument n’est mentionné que dans le titre ; le reste du poème procède par allusions et connotations.
* Comme la plupart des poèmes de Li Bai (Li Bo, Li Po, Li Tai Po), et il en a laissé un bon millier, celui-ci est en vers pentasyllabiques. En français l’alexandrin est à peine suffisant, encore ne rend-il pas compte de toutes les nuances.
D’autre part il est impossible, sans nuire gravement au sens, de transposer la rime des vers 4, 6 et 8 : song (les pins), zhong (les cloches musicales), chong (épais, pesant : plusieurs couches de nuages). « Bourdon » ne rend que très imparfaitement le carillon de cloches tubulaires en bronze, instrument bien plus ancien que la cithare, et qui, fixant les hauteurs de la gamme pentatonique, concourt à l’harmonie universelle (le nombre cinq = les 4 orients + le centre).

Tu vois je suis un lac…

Tu vois je suis un lac. Femme penchée sur moi,
me sondant pour trouver au fond ce qu’elle est.
Et puis ces mensonges, chandeliers, lune.
De dos je la vois et la représente avec fidélité,
elle me paie de larmes, de mains ondoyantes.
Je suis tout pour elle qui va, qui vient,
son visage au matin tient lieu de l’obscur.
Elle a noyé une fille en moi, et en moi une vieille
monte en elle chaque jour comme un poisson de ténèbre.

Sylvia PLATH

(traduction : Alain PRAUD)

Pétrarque, Canzoniere, sonnet 301 (Femme disparue et autres méditations, 2)

Val qui résonnes encore de mes plaintes,
Fleuve si souvent gonflé de mes pleurs,
Bêtes des forêts, vagues oiseaux, poissons-couleurs,
Entre l’une l’autre verte rive enceintes ;

Brise de mes soupirs chaude, sereine,
Tendre sentier devenu si aride,
Colline que j’aimais, dont mon front se ride,
Si quelque habitude d’amour m’y ramène ;

Je reconnais en vous la forme habituelle,
Pauvre, pas en moi ! après si douce vie
Devenu le séjour de douleur infinie.

De là voyais mon bien, et cette venelle
Me ramène au ciel où est elle partie,
Ne laissant ici-bas que beaux souvenirs.

(traduction : Alain PRAUD)

Chanson de Roland : In Paradisum

Le texte que nous connaissons est encore bien mystérieux. Tantôt rigoureux sur les plans métrique et d’assonance, tantôt plus du tout. C’est le cas de notre dernier extrait, pourtant des plus célèbres et pour cause puisqu’il figure la mort du héros. L’assonance en [i] pourrait être respectée, mais ce serait à tel ahan et avec telles difficultés métriques qu’à quoi bon ? Cette fois j’ai choisi de n’en rien faire, laissant toute violence à ce conteur dont nous ne savons rien, notre ami, notre frère.

Li quens Rollant se jut desuz un pin.
Envers Espaigne en ad turnet sun vis.
De plusurs choses a remembrer li prist
De tantes teres cum li bers cunquist,
De dulce France, des humes de sun lign,
De Carlemagne sun seignor kil nurrit.
Ne poet muer n’en plurt e ne suspirt.
Mais lui meisme ne volt metre en ubli,
Cleimet sa culpe, si priest Deu mercit :
Veire Patene ki unkes ne mentis,
Seint Lazaron de mort resurrexis
E Daniel des leons guaresis
Guaris de mei l’anme de tuz perilz
Pur les pecchez que en ma vie fis !
Sun destre guant a Deu en puroffrit.
Seint Gabriel de sa main l’ad pris.
Desur sun bras teneit le chef enclin,
Juntes ses mains est alet a sa fin.
Deus tramist sun angle Cherubin
E Seint Michel del Peril ;
Ensemblod’els seint Gabriel i vint.
L’anme del cunte portent en pareïs.

Le comte Roland est couché sous un pin,
Il a tourné sa face vers l’Espagne.
A lui reviennent tant de souvenirs,
Tant de pays conquis par sa bravoure,
La douce France, hommes de son lignage,
Son seigneur Charles qui l’a élevé.
Il ne peut retenir ni pleurs ni soupirs.
Mais il n’oublie pas son propre salut,
Il bat sa coulpe, demande grâce à Dieu :
« Père véritable qui jamais ne mentis
Qui ressuscitas Lazare de la mort
Et préservas Daniel des lions,
Sauve mon âme de tous les périls
Que lui font courir les péchés de ma vie ! »
Sa main droite présente à Dieu le gant
Et Gabriel en personne le prend.
Tenant la tête inclinée sur son bras
Il est allé, mains jointes, à sa fin.
Dieu lui envoie son ange Chérubin
Et Saint Michel du Peril.
Saint Gabriel est venu avec eux.
Ils emportent l’âme du comte en paradis.

(adaptation : Alain PRAUD)

Chanson de Roland : Durandal incassable

Dernier survivant et perclus de blessures toutes mortelles, Roland vient de tuer à coups d’olifant un Sarrazin, sans doute le dernier aussi, qui par fourberie tentait de lui dérober son épée. Or l’épée du chevalier (normand, XIe siècle) est presque plus précieuse que lui, nous allons voir pourquoi. Il ne peut donc mourir qu’elle ne meure elle aussi. Mais comment, puisqu’elle est invincible ? L’acharnement à la briser, admirable venant d’un mourant (Par les oreilles fors s’e ist la cervel…), a d’ailleurs laissé des traces dans les paysages d’Europe : de la fameuse Brèche de Roland dans le massif du Vignemale, jusqu’à Benidorm (Alicante) et même en Sicile… (Laisse 173, vers 2338-2354 – je me suis efforcé de maintenir l’assonance en [i], mais trop souvent au détriment du décasyllabe épique. On ne peut tout restituer sans trahir…)

Rollant ferit en une perre bise.
Plus en abat que jo ne vos sai dire.
L’espee cruist, ne fruisset ne ne brise.
Cuntre ciel amunt est resortie.
Quant veit li quens que ne la freindrat mie,
Mult dulcement la pleinst a sei meisme :
E ! Durendal, cum es bele e seintisme !
En l’oriet punt asez i ad reliques,
La dent seint Perre e del sanc seint Basilie
E des chevels mun seignur seint Denise.
Del vestement i ad seinte Marie.
Il nen est dreiz que paiens te baillissent.
De chrestiens devez estre servie.
Ne vos ait hume ki facet cuardie !
Mult larges teres de vus avrai cunquises
Que Carles tent ki la barbe ad flurie
E li empereres en est ber e riches.

Roland frappe sur une pierre bise :
Il en arrache plus d’éclats qu’on ne peut dire.
L’épée grince, ne s’ébrèche ni ne se brise,
Haut vers le ciel elle rebondit.
Quant Roland voit qu’il ne peut la détruire,
Tout doucement à part soi il s’afflige :
O Durandal tu es belle et bénie !
Ton pommeau d’or contient tant de reliques :
Dent de saint Pierre et sang de saint Basile
Et cheveux de monseigneur saint Denis ;
Un peu du vêtement de sainte Marie.
Tu ne dois donc pas être à des impies,
Seuls des chrétiens ont droit de te servir.
Ne te détienne homme de couardise !
Avec toi j’ai conquis d’immenses pays
Pour Charlemagne à la barbe fleurie.
Grâce à toi l’empereur est puissant et riche.

ço sent Rollant que la mort le tresprent.
Devers la teste sur le quer li descent.
Desuz un pin i est alet courant,
sur l’erbe verte s’i est culchet adenz.
Desuz lui met s’espee e l’olifan.
Turnat sa teste vers la paienne gent :
Pur ço l’ad fait que li voelt veirement
que Carles diet e trestute sa gent
li gentilz quens qu’il fut mort cunquerant.
Cleimet sa culpe e menut e suvent,
Pur ses pecchez Deu en puroffrid lo guant. AOI.

Il sent que la mort tout entier le prend,
Que de sa tête au coeur elle descend.
Jusqu’à un pin il se jette en courant,
Sur l’herbe verte à plat ventre il s’étend.
Il met sous lui l’épée et l’olifant,
Tête tournée vers la païenne gent.
Il fait cela parce qu’il veut vraiment
Que Charles dise avec tous ses parents
Qu’un noble comte est mort en conquérant.
Il bat sa coulpe à petits coups fréquents,
Pour ses péchés il tend à Dieu son gant.

(En bonus donc, la laisse 174 que j’adapte pour la première fois. L’assonance [an] est si obsédante qu’on se dit que décidément le Rap n’a rien inventé : ne manque que la fameuse « boucle » musicale, et encore, puisque les lettres AOI en sont peut-être une indication. Ce sigle, qui revient 172 fois dans la Chanson, n’a cependant pas encore trouvé d’interprétation pleinement satisfaisante.)

(adaptation : Alain PRAUD)

Chanson de Roland : la mort d’Aude la belle

En ces temps de « Brexit », mot auquel les générations à venir ne comprendront plus rien – qu’il est donc inutile de leur expliquer maintenant – , il est bon de se rappeler que la littérature française est née en Angleterre, qui parlait français alors, conquise par les troupes du Normand Guillaume, tout cela est conté sur la tapisserie de Bayeux. Or donc vers 1080 un moine du nom de Turold rédige, recopie, invente, adorne, tout cela sans doute à la fois, une « geste » qui courait l’Europe, de la Sicile à l’Ecosse, depuis les Carolingiens : la mort héroïque d’un certain Roland, mythique neveu de Charlemagne, tué avec tous ses hommes de l’arrière-garde de l’armée revenant de razzias en Espagne mauresque, au col de Roncesvals (Roncevaux) entre les pays basques espagnol et français de nos jours, non par les Sarrazins que chante la geste, mais plus prosaïquement par des pillards basques ou vascons ou gascons, c’est le même mot. Et même nous savons précisément quand : le 15 août 778. Qui parle ? Le vers 4002 et ultime de cet immense poème, le premier jamais écrit en langue française (en anglo-normand) porte la signature de l’auteur, mot impropre alors, puisque il n’y a pas plus d’auteurs de livres que d’architectes d’églises – seul Dieu crée, l’homme copie tant bien que mal. Ci falt la geste que Turoldus declinet. Ainsi s’achève la geste (latin gesta, pluriel neutre : exploits légendaires) que Turold « décline », soit au choix transcrit, recopie, raconte, amplifie poétiquement…

Ce texte, dit « manuscrit O » pour Oxford où il a été trouvé en 1832, est donc « signé » de ce Turold, sans doute un moine-soldat et fort lettré qu’on pense demi-frère de Guillaume le Conquérant en personne (un Turold figure même comme jongleur sur la tapisserie de Bayeux). Turoldus serait une forme latinisée de Thorvald, « puissance du dieu Thor », qui se porte encore par là-haut en pays viking.
Durant toute ma longue carrière je n’ai cessé de transmettre ce texte magnifique, en extraits naturellement (ça se chantait, on ne sait sur quel ton, et il y a beaucoup de redites). Et particulièrement la laisse, ou strophe, plutôt émouvante (mais sans la moindre sensiblerie, ce n’est pas le genre de l’époque), où Charlemagne, rentré à Aix-la-Chapelle sa capitale (Aachen de nos jours) apprend à Aude la mort de son fiancé Roland. J’aime aussi ce passage car c’est le seul où il soit question d’une femme, de fait le premier personnage féminin de toute notre littérature. En voici le texte original, suivi de mon adaptation en français moderne. Je me suis efforcé de conserver le décasyllabe épique (4+6) et, plus difficile, l’assonance de la laisse en [a / è / an], ancêtre de nos rimes.
Il s’agit de la laisse 268 (vers 3705-3722).

Li empereres est repairet d’Espaigne
E vient a Ais al meillor sied de France.
Muntet el palais est venut en la sale.
As li Alde venue une bele damisele
ço dist al rei O est Rollant le catanie
Ki me jurat cume sa per a prendre ?
Carles en ad e dulor e pesance,
Pluret des oilz, tiret sa barbe blance :
Soer cher’amie d’hume mort me demandes.
Jo t’en durai mult esforcet eschange :
ço est Loewis, mielz ne sai a parler,
Il est mes filz e si tendrat mes marches.
Alde respunt Cest mot mei est estrange.
Ne place Deu ne ses seinz ne ses angles
Aprés Rollant que jo vive remaigne !
Pert la culor chet as piez Carlemagne
Sempres est morte. Deus ait mercit de l’anme !
Franceis baruns en plurent e si la pleignent.

L’empereur s’en est revenu d’Espagne ;
Il rentre à Aix, le plus beau lieu de France.
Monte au palais, le voilà dans la salle.
Aude vient à lui, belle damoiselle,
Et dit : « Où est Roland, le chef de guerre,
qui jura de me prendre pour compagne ? »
Charles sent au coeur poignante douleur,
Pleure à torrents, tire sa barbe blanche :
« Soeur, chère amie, c’est d’un mort que tu parles.
Je te donnerai plus vaillant encore :
Ce sera Louis, comment mieux te dire ?
Il est mon fils, un jour tiendra mes marches. »
Aude répond : « Quelle parole étrange !
Ne plaise à Dieu, à ses saints, à ses anges,
Qu’après Roland je demeure vivante ! »
Perdant couleur elle tombe à ses pieds,
Morte. Que Dieu ait pitié de son âme !
Ils la déplorent, les barons français.

(adaptation : Alain PRAUD)