On connaît Etienne de La Boétie (Sarlat 1530-Bordeaux 1563) surtout grâce à Montaigne son ami indéfectible, qui a vu en lui et à juste raison l’un des grands poètes de l’époque. Car il ne suffisait pas d’imiter Pétrarque pour devenir Ronsard ; La Boétie est entre ces deux fleuves infranchissables, et du talent il en a à revendre. Hélas la Camarde fauchait alors très tôt.
Au chapitre XXIX du livre I de ses Essais, Montaigne prend le parti de publier 29 sonnets de son ami (on ignore combien il y en avait), qu’il dédie « à madame de Grammont, Comtesse de Guissen », plus tard maîtresse d’Henri IV dont on connaît le bon goût et l’appétit. « Madame, ces vers meritent que vous les cherissiez ; car vous serez de mon advis qu’il n’en est point sorty de Gascoigne qui eussent plus d’invention et de gentillesse, et qui tesmoignent estre sortis d’une plus riche main. »
Au XVIe siècle, et jusqu’au début du XXe, la poésie se disait avant de se lire. Nous ignorons grandement comment se disaient ces vers, d’autant que c’était affaire de région, voire de terroir. J’ai maintenu l’orthographe d’époque, que je trouve savoureuse, et pas seulement, vous allez voir.
Je veois bien, ma Dourdouigne, encor humble tu vas :
De te montrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue on fait ores grand conte,
Si a il bien esté quelquesfois aussi bas.
Veoiys tu le petit Loir, comme il haste le pas ?
Comme desjà parmy les plus grands il se conte ?
Comme il marche haultain d’une course plus prompte
Tout a costé du Mince, et il ne s’en plainct pas ?
Un seul olivier d’Arne, enté au bord de Loire,
Le faict courir plus brave, et lui donne sa gloire.
Laisse, laisse moy faire, et un jour, ma Dourdouigne,
Si je devine bien, on te cognoistra mieulx ;
Et Garonne, et le Rhone, et ces aultres grands dieux,
En auront quelque envie, et possible vergoigne.
(Où l’on entend au passage, grâce soit rendue à l’orthographe d’époque, que « vergogne » (pudeur/honte, du latin verecundia) se disait alors « vergougne » puisque la rime le veut. Comme aujourd’hui Bergounioux, écrivain et ami)
Jà reluisoit la benoiste journee
Que la nature au monde te debvoit,
Quand des thresors qu’elle te reservoit
Sa grande clef te feust abandonnée.
Tu prins la grace a toy seule ordonnee ;
Tu pillas tant de beaultez qu’elle avoit :
Tant, qu’elle, fiere, alors qu’elle te veoit,
En est par fois elle mesme estonnee.
Ta main de prendre enfin se contenta :
Mais la nature encor te presenta,
Pour t’enrichir, cette terre où nous sommes,
Tu n’en prins rien ; mais en toy tu t’en ris,
Te sentant bien en avoir assez pris
Pour estre icy royne du coeur des hommes.
(Une seule note ici : « benoiste », du latin benedicta, est une journée bénie, on le comprend. Le reste est langue de nos jours)
Alain PRAUD