On ira d’emblée à la référence : depuis l’épisode de la « Maison Blanche d’hiver », mes fidèles lecteurs ont fait le lien avec le banquet de Trimalcion et sa traduction en images par Fellini. Car le grand Schtrumpf peroxydé a choisi de recevoir le Premier Ministre du Japon Abe Shinzo (qu’il appelle Mr Shinzo, puisque personne ne lui a dit que là-bas c’est le nom de famille qui précède le prénom)(ça me rappelle l’histoire de ce président malgache d’il y a longtemps, Tsiranana, qui recevant un évêque africain lui avait donné du « Monseigneur MGR ») – enfin il a choisi de le recevoir dans son club privé de Mar-a-Lago (Floride) où il se détend après les rudes rudiments du pouvoir qu’il encaisse à Washington, ensemble résidentiel et club de vacances peuplé de grossiums à 200 000 $ le ticket annuel (c’était seulement 100 000 $ avant son élection – pas de petits profits).
Donc le voilà banquetant et discutant de choses sérieuses avec ce pauvre Nippon tout empesé – son épouse bien davantage, comme il sied – dans un décor de palmiers, de piscines à débordement, de golfs et de machines à sous, avec d’autres blonds bedonnants flanqués de blondes encore plus botoxées que la sienne. Espace terrifiant de vide, de trop-plein, de foule importune, de photos volées, de photographes par qui accrédités, de serveuses embauchées la veille, au point qu’un membre du club s’est pris en selfie avec l’aide de camp porteur de la mallette des codes nucléaires, mais oui. Comme dit Lautréamont, allez-y voir vous-mêmes si vous ne voulez pas me croire.
Au fait à propos de Trimalcion tout ce monde était propre sur soi, enfin façon Yankees sudistes, cravates trop longues comme le patron, haute couture improbable pour les potiches ; au moins on ne se repeignait pas à la sauce comme dans l’original en rotant et vomissant et personne ne s’essuyait les mains aux cheveux des esclaves. Mais aux yeux d’un Bourdieu ou d’un Deleuze que personne n’avait invités c’eût été tout comme et kif-kif mon ami, tant le différentiel culturel et économique entre les uns et les autres était abyssal, sans parler de notre allié Jap égaré là comme une estampe de Harunobu dans une émission de Télé-Réalité, qui doit encore se demander dans quel traquenard il était tombé. Heureusement que le Japon n’est plus gouverné par l’Empereur, reclus dans son palais où on lui parle la langue de l’époque Heian, car toute ébauche de dialogue eût été impossible, même ressentie comme incongrue par l’une des deux parties, devinons laquelle.
Parmi toutes les photos prises par les membres du club, une surtout est remarquable. La mise au point est sur une espèce de gros chat orange assis au premier plan, le menton dans la main, souriant de cet air un peu niais que nous avons tous arboré à un moment ou à un autre sur les photos de communion de la petite nièce ou des noces d’or de papy-mamy. Derrière lui en ombres chinoises se déhanchent des houris et d’autres silhouettes, qui pourraient être aussi bien celles d’agents russes, chinois, voire français mais oui, qui l’aurait empêché ? Et devant cela le monde civilisé ou ce qu’il en reste, ébaubi, béant, incrédule. Comme de l’horreur on est toujours puceau de la bêtise, telle est son avance sur nous. Mais soyons économes de notre mépris ; car de semblables tableaux, et pis encore, nous guettent dans nos frais bocages, inconscients que nous sommes.
(à suivre)
Alain PRAUD