Inactuelles, 64 : De la persistance des miracles

On le sait, je suis fan de Voltaire. Bien moins que de Rousseau et Diderot, mais tout de même. Il était le plus grand christianophobe de son temps, ce pourquoi de nos jours il serait sans cesse stigmatisé pour islamophobie, ce vocable terroriste, pensé par des terroristes, à l’usage des terroristes. Mais bien entendu il s’en tamponnerait le coquillard avec le pinceau de l’indifférence, et poursuivrait son combat contre vents et marées, perinde ac cadaver comme il l’avait appris des Jésuites.

« Un miracle, selon l’énergie du mot, est une chose admirable. En ce cas, tout est miracle. L’ordre prodigieux de la nature, la rotation de cent millions de globes autour d’un million de soleils, l’activité de la lumière, la vie des animaux sont des miracles perpétuels.« (Voltaire, Dictionnaire philosophique, – à l’occasion je citerai l’Edition de Kehl de 1771)
Et c’est bien vrai qu’on parle de miracles à tout propos, dans la langue enfumée de qui veut nous rendre artiste à tout prix et en dépit de toutes nos capacités cognitives.
« Selon les idées reçues, nous appelons miracle la violation de ces lois divines et éternelles. Qu’il y ait une éclipse de soleil pendant la pleine lune, qu’un mort fasse à pied deux lieues de chemin en portant sa tête entre ses bras, nous appelons cela un miracle. » Et deux guérisons inexpliquées par la médecine en relation avec un saint potentiel suffisent à le faire accéder à la sainteté (où son corps désormais exhale un parfum délicieux, comme l’a analysé mon ami Jean-Pierre Albert (Odeurs de sainteté,éditions de l’EHESS) . Du moins on le crut pendant des siècles. Mais on croit encore aux miracles nécessaires, sinon on ne croirait pas aux saints. Rappelons que chez les chrétiens seuls les catholiques et les orthodoxes croient aux saints en tout temps ; les religions réformées n’admettent plus ni saints ni miracles hors les temps bibliques.

Or le pape François, pourtant « moderne », vient de déclarer « sainte » Mère Teresa sous le prétexte de deux miracles reconnus en rapport avec elle (post mortem ça marche aussi). Rappelons que miracle signifie « chose vue mais incroyable », ce qui est tout à fait en phase avec l’Eglise des premiers temps, où plus personne n’avait connu Jésus mais où tout le monde se battait pour lui attribuer des phénomènes paranormaux de toutes sortes, des plus merveilleux (la résurrection de son parent Lazare) aux plus incongrus (l’eau changée en vin aux noces de Cana). Jésus résiste aux propositions sataniques, marche sur l’eau (et se moque de Simon-Pierre qui n’en peut mais et se noie), tout cela est naturel, comme les légendes additionnelles, celle de la via Appia par exemple. Mais il est vrai qu’après le IVème siècle les récits ont proliféré de façon exponentielle, tous plus délirants les uns que les autres, ad majorem dei gloriam bien entendu.

Ce serait un sujet d’études historiques, sociologiques, voire ethno-psychiatriques. Vous rêvez ? L’immense majorité de nos contemporains croit aux miracles, puisque cette même majorité trouve naturelle et sans plus d’examen la canonisation de Mère Teresa. On a même entendu des vedettes de la télé, comme le mignon Delahousse, affirmer que Teresa avait « fait reculer la pauvreté », ce qui relève non de la simple approximation mais de l’hagiographie délirante. Car Teresa n’était nullement une militante tiers-mondiste, elle s’accommodait très bien de l’ordre mondial et de sa déclinaison indienne, elle n’a fait qu’aider des misérables à mourir ailleurs que dans le caniveau (où ils meurent encore un peu partout en Inde). C’est bien, ce ne sera jamais suffisant, et quant à justifier la sainteté… Ronald Reagan qui mit à genoux l’URSS alias « Empire du Mal » est désormais bien davantage un saint pour beaucoup d’Américains, et pas eux seulement. Et je veux bien croire, dans ma toute petite existence matérielle, aux miracles de certaines épiphanies humaines, jeunes filles merveilleusement chaudes comme la braise, orgasmes inoubliables, etc. Voltaire en tout cas a raison : il suffit de regarder la nature pour constater que le miracle est parmi nous et permanent. Dieu (ou l’évolution) est un miracle perpétuel comme disait Voltaire. Et je confirme.

Un certain Tertullien, théologien des premiers siècles popularisé par Nietzsche, n’hésite pas à écrire : Credo quia absurdum, « je crois (ou j’y crois) parce que c’est absurde. » Et c’est vrai que le christianisme dont je suis issu repose sur cette notion de l’ab-surdum, du discordant, du dissonant. Pas étonnant que j’aie tout de suite été séduit par Stravinski et Bartok puis Boulez. Plus j’étais catholique, plus j’allais vers la dissonance. Je dois être en bonne voie vers la sainteté, car la dissonance m’enchante et de plus en plus. Quand elle a un sens, naturellement. Mais vous l’aviez compris tout de suite. C’est bien là que gît le lièvre. Comment ma dissonance fondamentale pourrait-elle maintenant entrer en consonance avec un corps de doctrine dont je rejette et réfute l’essentiel ? Je veux bien que la chair revive, si c’est une métaphore ; mais je ne serai jamais de nouveau catholique s’il faut que j’adhère à la résurrection des corps, en premier lieu celui de Lazare, qui sentait déjà ( Jean, 11, 40). « Il cria d’une voix forte : « Lazare, viens ici, dehors ! » Le mort sortit, pieds et mains liés de bandelettes. Jésus dit : Déliez-le et laissez-le aller. »

Il est certain que si l’on croit cela on peut tout croire. Et inversement, si l’on prétend croire, d’abord il faut croire cela qui est absurde. A un moment crucial de Crime et châtiment, un des plus grands romans qui furent jamais, le juge Porphyre demande à Raskolnikov s’il croit à la résurrection de Lazare. Oui, dit l’autre, machinalement. Alors Porphyre hausse le ton : Y croyez-vous littéralement ? Et c’est bien là que le bât blesse, la question qui tue. On peut admettre et même propager cent et mille métaphores – mais la résurrection de Lazare ne supporte que la lettre. Vous y croyez, vous êtes catholique (ou orthodoxe); vous hésitez ? Alors vous êtes dehors. Je voudrais bien croire, moyennant un peu de science (mais un peu de science éloigne de Dieu, a dit Pascal) qu’un mort tout frais puisse revivre (nul ne sait ce que peut un corps, dit Spinoza). Mais un mort « qui sent déjà » n’est plus un corps, selon toutes les formes et accidents de la pensée humaine : c’est un enjeu moléculaire qui ne nous appartient plus et sur lequel nous n’avons plus à dire.

Il y a longtemps que je m’offusque en silence – mais clamant dans le désert – de ces expressions qu’on prétend françaises, formules en vérité conservées dans le formol : « c’est un miracle si…par miracle…miraculeusement… » Plus les sciences dites exactes avancent leurs pions, plus on entend fleurir ces formules insensées, jusqu’à des vedettes éphémères du PAF le bien nommé qui se déclarent partisans de la royauté, tenants de l’Eglise de France dans toutes ses dimensions, voire adeptes des extra-terrestres. Comme le dit un célèbre journal satirique, le mur du çon chaque jour est franchi, voire pulvérisé. Car dès que l’on croit on est en état de faiblesse. Mieux vaut affirmer avec suffisance « je pense que… », même si c’est presque toujours une offense à la pensée, que « je crois » qui est une démission absolue du bon sens selon Descartes et de toutes les hypothèses rationnelles qui ont suivi. « Je crois », « c’est un miracle » : insultes éclatantes aux Lumières dont nous nous réclamons, que nous nous devons de défendre contre vents et marées, contre les musulmans jihadistes comme contre les cathos intégristes. Nous ne réfutons pas absolument l’idée de sacré, mais votre sacré nous est émétique, désolé pour vous. Ebarbez-le d’abord de ses absurdités les plus criantes (et criardes) et nous commencerons à dire entre nous de ce qu’est le dire précisément. Mais il ne faut pas être grand clerc pour affirmer que ça n’en prend pas le chemin.

Alain PRAUD

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