Trois couleurs, c’est un film de Kieslowski que j’adore, avec en Bleu la sublime Juliette Binoche que j’aime infiniment, comme actrice et comme femme. Laissons cela, quoique. Il s’agit bien sûr de « nos » trois couleurs, selon la géniale symbolique de Kieslowski. Mais ces trois couleurs, et dans cet ordre, ne sont pas de toute éternité, elles ont une histoire de laquelle on ne peut s’abstraire sans danger pour la pensée. Vous me direz, le danger pour la pensée…Et je vous comprends, tant d’autres dangers sont sous nos pas désormais. Oui mais.
Il paraît que les trois couleurs (les militaires disent seulement « les couleurs », comme s’il n’y en avait pas d’autres), longtemps méprisées par l’oublieuse mémoire du seul peuple vraiment révolutionnaire (nous), il paraît que les couleurs sont revenues en odeur de sainteté, qu’on se les arrache, que les rares commerçants qui s’y adonnaient (mais pour les farces et attrapes, ce qui en dit long) connaissent avec ravissement la rupture de stock. Tant mieux car j’aime les petits commerçants, depuis toujours. Sans déconner, man : quand Gainsbourg a voulu chanter la Marseillaise (dont il avait acquis à prix d’or le manuscrit) sur des cadences un peu asymétriques, trois rangs de parachutistes bien dégagés derrière les oreilles lui ont signifié qu’un youpin décadent ne marcherait pas sur leurs plates-bandes impunément. Alors il l’a entonnée devant tous, a capella, et ça avait de la gueule. Une gueule de Gainsbarre mais quand même. Il faut parfois montrer ses burnes, certaines femmes aussi savent le faire, arabes et iraniennes en ce moment. Je reparlerai d’elles.
J’ai déjà parlé de la Marseillaise, et dit pourquoi je n’envisageais pas un instant d’en édulcorer le texte. Tant qu’à faire alors, autant changer de drapeau. Sauf que lui, le drapeau, il ne parle pas. Il ne peut pas se défendre, sinon par la loi (l’outrage au drapeau, décret 2010-835 du 31 juillet 2010, jusqu’à 1500 euros d’amende, le double en récidive). Et cependant quelle histoire, que de mensonges encore aujourd’hui.
J’écris ceci sous le coup de la colère et de l’indignation. Vous allez me dire que vous me connaissez, pas la première fois, je monte sur mes grands chevaux, etc. Merci de me le rappeler, mais là… A propos de la cérémonie d’hommage aux victimes du 13 novembre, et de ce drapeau en rupture de stock, mes deux filles (12 et 14 ans) ont eu l’idée saugrenue de m’interpeller : papa, pourquoi ces couleurs, au fait ? Pensant candidement (l’aînée est en Seconde) qu’elles avaient eu jusque là toute l’information nécessaire sur cette question essentielle, j’ai commencé à tomber de ma chaise. Mais ce n’était rien encore, et ce que j’allais entendre m’a précipité. Que signifient nos couleurs ? Eh bien pour certains de mes ex-collègues, tenez-vous bien, le bleu représente le roi, le blanc la pureté et la paix, le rouge le sang et la mort. Tel quel, brut de décoffrage. Ayant exercé ce métier plus de 40 années je suis le dernier à jeter la pierre à une mission tellement héroïque désormais qu’on ne trouve plus personne pour l’assumer. Mais tout de même, comment peut-on proférer pareilles absurdités ?
Je le savais quant à moi bien avant Wikipedia dont le concept même était impensable, mais au moins j’avais des enseignants de qualité, qui m’ont informé dès l’adolescence de ce que signifiait ce drapeau, notre drapeau, étalé partout, surtout quand de Gaulle venait dans mon humble ville (je me suis trouvé, sortant de mon collège, à quelques mètres de LUI, mais encadré de patibulaires en gabardine qui n’étaient nullement mes copains)…On pouvait penser à bon droit au fond que ce drapeau était d’abord le sien, ok si tu veux man, ben non. Ce drapeau n’appartient qu’au peuple, et d’abord au peuple de Paris, puisque deux des trois couleurs sont les siennes. Comme tout citoyen français devrait le savoir (et surtout, en premier lieu, les gamins des « quartiers »), le blanc du drapeau est la couleur du roi (avec fleurs de lys en fait, mais en 1789…), le bleu et le rouge sont les couleurs de Paris. En raffinant un peu, le bleu est la couleur des marchands, le rouge celle des artisans, des « ouvriers » comme on pouvait dire au XVIème siècle (prononcé en 2 syllabes), plus tard des prolétaires. Rien à voir donc, mais rien du tout avec le sang ! Si le drapeau rouge a manqué conquérir le monde, c’est surtout par un hasard linguistique / sémantique / ethnologique : parce qu’en russe, comme en chinois, en japonais aussi, rouge est la couleur de la beauté, de la joie, du mariage…La fameuse Place Rouge de Moscou, voulue par Ivan le Terrible comme la plus grande au monde, signifie seulement la Belle Place, et rien de plus. Bref, la symbolique des couleurs nécessite qu’on sorte un peu de son petit monde. Pendant tout notre Moyen-Age le vert a été la couleur du Serpent, donc de Satan. Voyez les vitraux de Chartres et d’ailleurs. Le jeune idiot Rimbaud fait du vert la couleur de la mort : il a 14 ans, il sait ce qu’il dit. Et il sait qu’il scandalise, déjà. Les goûts et les couleurs sont causes de scandales plus graves que les territoires.
Or donc pourquoi bleu et rouge de part et d’autre du blanc royal ? Poser la question c’est y répondre : Paris encadre le roi, le contrôle, le surveille pour l’empêcher de s’enfuir (terrible erreur on le sait de Louis XVI), avant tout pour qu’il ne soit plus jamais le seul maître à bord du fameux vaisseau des armes de Paris, « fluctuat nec mergitur » – de Paris, donc de la Révolution, de la France elle-même. Ne pas savoir et comprendre cela, quand on s’est vu confier une mission de service public, est déjà préoccupant. Le savoir et dire tout autre chose, surtout en temps de guerre, serait proche de la haute trahison. Ne rien savoir et inventer n’importe quoi pour faire bonne figure devant des enfants, je suis désarmé pour qualifier cela. Les faits sont là, faites-en ce qu’il vous plaira.
Alain PRAUD
Salut Alain. Comme toujours un vrai plaisir à te lire mais puisque je ne mets pas en doute la véracité de ton anecdote, je me dis que c’est très bien que je quitte bientôt le cor en saignant. Je ne veux plus me coltiner de pareils imbéciles. Ceci dit, Je reconnais la valeur de symbole de ce drapeau et je comprends que tu ne veuilles pas polémiquer (pour un peu tu finissais par « les goûts et les couleurs »). Je trouve tout de même que tu te défausses un peu. Tu as dû noter mon énervement sur face de bouc face à cette servile marée de cocardes… En effet, je pense que depuis cette révolution bourgeoise trop de sang a coulé au nom de ce qu’il représente. j’aime la France comme j’aimerais sans doute n’importe quel pays si j’y étais né. Mais où sont passées,si elles ont jamais existé, liberté égalité et fraternité ? Les drapeaux noirs ou rouges ne sont pas non plus à mon goût. Si je devais en choisir un, à contre coeur, ce serait le blanc, pas celui du roi , tu t’en doutes mais celui de la paix.
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Merci Christian pour ce commentaire critique et positif. Tu as remarqué que je ne m’étais pas, pas plus que toi, tricolorisé sur FB. Je ne critique pas ceux qui l’ont fait – la violence de l’agression, le choc psychologique massif et collectif peuvent induire des réactions qui ne se veulent pas grégaires mais d’abord solidaires. Et après tout le patriotisme, tant que ce n’est pas du nationalisme… Mais ce n’est pas aux réseaux sociaux à nous dicter notre comportement, même à le suggérer. Quant aux valeurs de la devise, ce ne sont bien sûr que des horizons éthiques et politiques qui semblent s’éloigner à mesure que nous avançons. D’autant qu’il nous arrive de reculer…
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