Largesse des sixties (2)

C’était un temps que l’on suppose
Un temps de moody blues un temps de roses
de septembre
Un temps de lavande de véhémence d’émeutes
acidulées, souples, diaphanes
On errait dans la nuit lumineuse l’impudeur
exacte des chantiers, boue et vent, quartiers
anciens des corps de cinéma
On était de chaux de brume d’antiques aromates
parleurs sans mesure (on avait voulu la vie
comme une langue fluente et bigarrée)

On ne savait comment fortifier sa vertu
Un baise-main suffisait à notre bonheur
Une clé librement tournait dans nos portes

Nous avons été plus précieux que les roses
arbitres chamanes et danseurs de corde
On surplombait la déraison mais d’une épaule
Cela pour nous s’éployait à l’aise
cavaliers ardents fourrés de zibeline

C’est un temps que l’on illumine

Le temps déjà le temps non plus camarade
Le temps par tout le bois nous serre
et nous fait libres
Les heures du Wimpy ne reviendront ni les
baisers volés au coin des lèvres

Comme si ce monde étincelant de micaschiste
devenait cramoisi l’écrin de notre repos
accompli

(une seconde de truite-lumière)

Alain PRAUD
février 2013
pour Guy Latry

3 commentaires sur “Largesse des sixties (2)

  1. Je suis remonté loin pour trouver le (1), sans succès. Mais celui-ci me plaît, avec ce qu’il faut de nostalgie tranquille, d’élégie tendre sans complaisance.

    Si je ne me trompe, en effet vous voyez large, en un concentré de toutes les années soixante, mièvreries d’avant 68 (« Un baise-main suffisait à notre bonheur/ plus précieux que les roses/ baisers volés au coin des lèvres »), et ardeurs de mai et d’après (« Un temps de véhémentes émeutes / On errait dans la nuit lumineuse l’impudeur / parleurs sans mesure »).

    Je suis sensible à cette musique, mais plutôt par procuration. J’ai vécu ces années-là sans joie, embarrassé de moi-même et des autres. Je ne suis pas du tout « ex-fan des sixties », Wimpy et Moody Blues… Mes « années de l’éveil » furent un peu plus tardives.

    J’envie votre aptitude au vers libre. Moi j’ai beau faire, je suis à chaque fois happé par la cadence et la rime ne me paraît pas du tout ce « bijou d’un sou » que dénigrait Verlaine sans avoir jamais su s’en passer.;.

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  2. Le premier « Largesse des sixties » a été publié le 6 mars 2010, pour le soixantième anniversaire de sa dédicataire, plus tard mon épouse (la première).

    Je ne crois pas au vers absolument libre, il y a toujours du nombre dedans. Parfois même (Senghor, Réda…) ce nombre a une présence éclatante. Mais il est vrai que j’ai voulu tôt m’affranchir de l’isométrie, à l’exemple de l’Apollinaire de « Zone » et surtout des surréalistes, Breton, Aragon, Péret, etc, grande découverte de mes seize ans. Quant à la rime, j’en laisse encore une par ci par là…Que cent fleurs s’épanouissent !

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  3. Votre « nous » est donc plus personnel que collectif.
    Et bien sûr, comme en toute poésie intime, des phrases ou expression pour soi tout seul, comme cette étrange et belle « seconde de truite-lumière ».

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