Bolcho sinon rien (3)

      Je n’ai jamais vu le siège du Parti.

     Au début des années 70, avant même mon adhésion, j’ai souscrit pour l’édification du nouveau siège du Parti, un bâtiment futuriste d’Oscar Niemeyer, l’architecte de Brasilia toujours en vie si je ne m’abuse. Et je n’y suis jamais allé voir. A tous les étages du Parti on disait « Fabien ». Mais beaucoup étaient comme moi. On n’aurait pas pu entrer de toutes façons.  On était fiers de cette belle chose qu’on avait payée tous ensemble. Et Moscou un peu, sans doute. Plus tard quand j’écrivais pour « Révolution » entre 1981 et 1988 mes piges étaient réglées par chèques tirés sur la Banque Commerciale de l’Europe du Nord. Des piges bien modestes en comparaison de ce qu’offrait la presse « bourgeoise ». Est-il besoin de le préciser ? Oui sans doute.

     Fabien, la presse bourgeoise disait : un bunker, ou un OVNI, mais surtout un bunker. Pour souligner que c’était un Kremlin mais enterré en plus, et une grande paume de verre qui réfléchissait le ciel pour mieux cacher de lourds secrets, des complots qui se tramaient au fond des souterrains, derrière les herses, les machicoulis. Le repaire de Gilles de Rais. C’était peut-être pour cela qu’on ne se souciait pas d’y aller nous autres militants de base et petits cadres 1 et 2. Comme le Château de Kafka il entretenait un doute sur son existence réelle, et puis après quoi, l’Etre c’était le Parti.

     L’autre dimanche 18 juillet de lumière Paris sous sa coupole d’azur je flânais le long du canal Saint-Martin vers l’Hôtel du Nord ( Atmosphère !), sa station de vélib’ et au-delà j’ai tourné à droite au hasard comme j’ai toujours aimé faire dans Paris à pied surtout remontant donc la rue de la Grange aux Belles avec au bout le bistrot Chez Fabien sa morue à la portugaise sa bavette à l’échalote et alors pour la première fois si longtemps après je l’ai vu dans le ciel grec comme Epidaure Syracuse. Blanche coupole sur une pelouse tondue comme un green calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur sur un bout de campus et l’aile d’ardoise et d’argent au ciel sans un mot sinon sur la grille une plaque genre plexiglas Parti communiste français. Les copains du kiosquier maghrébin adossés devisant gaiement et deux femmes le voile modeste attendant que le petit homme rouge passe au vert pour franchir le fleuve gris en direction de Chez Fabien sa salade  à la provençale.

     Le siège du Parti astiqué impeccable comme il y a quarante ans mais vide comme un sarcophage au Louvre et aussi dépourvu de charge utopique désormais que la tour Montparnasse. J’ai pris un cliché pour me rappeler que j’étais passé là comme il y aurait eu 40 ans les cheveux aux épaules en veste cintrée pantalons pattes d’elph de velours moiré bottines souples et j’ai tourné les talons. La supérette à l’angle de Richard-Lenoir allait fermer, la jeune femme voilée à la caisse m’a souri parce que j’étais son dernier client. Sans foulard elle devait ressembler à Arletty gouailleuse à Jouvet tous les deux pouffant sous les projos Quand t’auras fini d’parler entre guillemets fais-moi signe !

     Fin 68 à Bordeaux un camarade de khâgne montait avec une fille de la rue Porte Dijeaux, s’asseyait, lui expliquait posément qu’elle était une travailleuse aliénée et une victime objective de la baisse tendancielle du taux de profit. La fille regardait sa montre et au bout d’un quart d’heure le congédiait sans lui consentir la moindre réduction.

     L’après-midi marchant à l’ombre de la Bastille au Père-Lachaise je suis allé saluer mon ami de toujours Guillaume de Kostrowitzky dit Apollinaire, devenu français juste à temps pour qu’un shrapnel vienne trouer son casque et le plus ailé de tous les poètes français. Au retour le Génie de la Bastille étincelait encore insolemment. J’ai rouvert ma bécane comme disent les prolos de leur machine quelle qu’elle soit et rédigé d’ahan le volet 2 de la présente rétrospective. Quand Georges Marchais quittait le verre et l’acier de Fabien il ralliait son pavillon de Champigny où il retrouvait Liliane militante impeccable et leur petit garçon dont il était gâteux comme tous les pères. Il conduisait le parti à l’abîme et qu’en savait-il au juste ?

(à suivre)

Alain PRAUD

Un commentaire sur “Bolcho sinon rien (3)

  1. Voilà un récit qui fout le bourdon (comme aurait dit Quasimodo) et, du coup, ne donne pas envie d’aller se taper la cloche (deuxième facilité coupable mais assumée car je suis un inconditionnel de Pierre Dac), ni chez Fabien, ni ailleurs.

    En fait, nous avons tant rêvé que, le temps passant, personne ne voulait peut-être qu’il passe aussi « place du colonel Fabien »….
    Les certitudes étaient si belles, demain ne pouvait être que radieux. Les histoires de Kolyma n’étaient que d’odieux mensonges, l’autobiographie de Victor Andreïevitch Kravchencnko, l’œuvre d’un traître (peut-être, d’ailleurs, un peu suicidé en 66 ?), la répression de l’insurrection hongroise à Budapest en 1956 ? Une bonne chose …. Idem pour Prague en 1968, etc …. Etc …

    En résumé, il fallait bien défendre le communisme contre le capitalisme qui pourrit tout.

    Simplisme ? Non : raccourci, car tout a déjà été analysé, dit, écrit, contredit mais finalement le schéma est bien celui-ci.

    Et Pierre Georges, il en aurait pensé quoi de cette dégringolade politique du PCF ?
    Pas grand-chose sans doute : les héros sont dans l’action … et demain ? ….
    Quoi demain ?…

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