Tao Yuan ming : Etat d’ivresse , 7

Ravissantes couleurs des chrysanthèmes d’automne
Cueillant les fleurs humectées de rosée
Je me laisse flotter oubliant les chagrins
Je ne sais plus si j’ai vraiment quitté le monde
Solitaire je me verse une coupe
Elle est vide et la cruche avec elle
Tout se tait le soleil se couche
Rentrés à la forêt les oiseaux pépient
Je siffle à mon aise sous la véranda de l’est
Jouissant de ma vie pleinement heureux

(dizain pentasyllabique – traduction  A.PRAUD , 2005-/janvier-juin 2010)

(Note sur la traduction)
Traduire la poésie chinoise est toujours une gageure : dès que ça semble tenir d’un côté, ça s’écroule de l’autre, comme si on bâtissait une Grande Muraille en allumettes sur un terrain détrempé. Le grand, l’immense Tao Yuan ming a fréquenté ce monde de poussière entre 365 et 427 ;  en gros pour nous Européens l’époque de Prudence et de Sidoine Apollinaire, sympathiques poètes chrétiens, mais qui ne jouent pas dans la même division comme on dit. Cette époque troublée, incertaine, est ce qu’on appelle le Moyen-Age de la Chine, avant la Renaissance de l’époque Tang (VIIe- Xe s.) :  trois siècles, 900 poètes (au moins).  Une langue ramassée comme le latin de Tacite, et débrouillez-vous.
     Ainsi, pour ce seul poème, deux vers posent des problèmes difficiles, voire insolubles :
*le v.3 :  fàn ci wàng you wù  = flotter comme l’oiseau sur la vague / ce, cette, ceci, cela /oublier, négliger /chagrin, tristesse, mélancolie /les êtres, les choses, le monde…  Le lettré a choisi dans son jardin un chrysanthème (fleur belle et magique, qui résiste aux assauts de l’hiver) (efficience du yang), et il en effeuille les pétales dans sa coupe de vin/alcool, signifiant ainsi l’impermanence de toutes choses, ce que le Japon appellera bien plus tard ukiyô, le monde flottant.  Si l’on jouait à armes égales avec le chinois médiéval, il faudrait dire cela en cinq mots, pas un de plus.  Le premier qui y parvient me contacte.

*le début du v.9,  xiao ào , est plus redoutable encore :  xiao selon cette graphie (clé de la parole) dit des cris animaux : siffler (mais fort), hurler/rugir.  ào dit l’orgueil voire l’arrogance de la jeunesse qui ne sait ; et par exemple la prise de parole intempestive, hors de propos ou trop fort, etc. Ce qui donne :  « je siffle à l’aise » (Hervé Collet, Moundarren) ;  « je siffle fièrement » (Paul Jacob, Gallimard) ; mais aussi bien « je chante à tue-tête » (M.Coyaud, Les Belles Lettres)… Si cette dernière option peut se justifier par une esthétique qui ignore superbement nos fantasmes néoclassiques de mesure, d’équilibre, surtout de bienséances (dans cet ordre d’idées je serais même allé jusqu’à « je braille à perdre haleine » – car après tout le « moi lyrique » ou ce qu’il en reste a vidé une cruche entière d’alcool, riz ou sorgho) , je me rallie tout de même à l’autre idée, à la fois sans-gêne, désinvolture lettrée, funambulisme…qui se tient mieux dans le contexte des 19 autres poèmes de l’ensemble, tous nourris d’une trivialité de bon aloi et de considérations métaphysiques bien assez « modernes » pour que nous  y arrimions ma version solitaire, toujours justifiable, jamais définitive.

Un commentaire sur “Tao Yuan ming : Etat d’ivresse , 7

  1. Tu arrives à les aimer avant traduction, ces poèmes, qui nous resteraient à nous inaccessibles sans intermédiaire, tu les « entends » vraiment ?

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